12 juillet 2006

Journal extrême

Journées chaudes, pour la première fois de l’été, arrosage matinal du jardin, c’est dire. Temps chaud du cœur de l’été. Propice à des lectures toujours sulfureuses. Je suis retombé dans la lecture du Journal de Jean-Pierre Guay. C’est un cas.

J’en avais dévoré une grande part l’hiver dernier puis suis passé à d’autres choses sans écrire le billet que je voulais. Et voilà que j’ai trouvé trois tomes que je n’avais pas lus, à 1$ pièce, chez François Coté. Plus de mille pages qui ne couvrent même pas deux ans de sa vie. Deux jours de lectures pigrassantes fort agréables.

C’est l’œuvre d’un écrivain qui renonce à la littérature mais pas à écrire. Ni au grand bluff littéraire. Dans les six premiers livres de son journal, cet ancien président de l’Uneq règle son compte au non-Québec, à sa langue qui recule et à sa non-littérature, surtout quand elle poétise. C’est un brasseur de marde me disait un littéraire institutionnel. Voire.

Il raconte tout. Les vacheries entre collègues et amis. Le système des administrateurs, professeurs, universitaires, journaleux, écrivains bien vus de la littéraklatura québécoise. La réalité des jury qui doivent financer 240 000$ de demandes de bourses avec 40 000$ de budget (Cas récent, dont on ne parle pas, multipliez par 100 pour la télé ou le cinéma, dont on parle). Toutes choses qui ne se disent pas mais qui sont la mécanique même des petites cultures subventionnées comme la nôtre. Et encore, tout monde rêve ici des standards européens, bien plus élevés que ceux de la pingre Nord-Américanie. C’est vrai qu’il s’agit de petites cultures en péril comme celles de la France, de l’Allemagne ou du Royaume-Uni (dont nous ne sommes pas tout à fait séparés).

Je comprends qu’on ait détesté Jean-Pierre Guay. Sa vie étant devenue son œuvre, il raconte tout. Il est chum avec Marie-Andrée, la blonde à Gaston (Miron). Déteste Michèle (Lalonde) ou Yves (Beauchemin) collègues de l’UNEQ. Conchie Jean (Royer) alors promoteur littéraire au Devoir, a des tendresses pour Réginald (Martel), toujours à la grosse Presse. Dégonfle les ministres responsables des dossiers. Ne nous épargne rien des douleurs éditoriales de Pierre Tisseyre (CLF) son vénérable et fédéraliste éditeur. S’épanche sur le triste sort de l’écrivain qui attend son livre et se désole ensuite de sa mévente. Il retranscrit ses critiques, sa correspondance, ses conversations téléphoniques et même les sujets, éditeurs et imprimeurs des nombreuses cartes postales qu’il envoie à tout ce beau monde.

On lui a reproché de rendre public ce qui est privé. Question qui ne s’est jamais posée dans la blogosphère, évidemment. Il a d’ailleurs fini par se brouiller avec bien des gens, si je comprends bien. Guay met fin à la première période de son journal en 1988. Sur une lettre de refus de demande de bourse. La même qui circulait alors qu’il travaillait au ministère quinze ans plus tôt.

Le texte de cette redoutable lettre n’a pas grandement changé, quinze ans plus tard (on m’en a fait lire une, il y deux ou trois ans). Les institutions un peu, les budgets ont augmenté, un peu aussi, mais moins que la demande, elle. (En télé, en cinéma, à l’université même, rien, je me tais)


Depuis sa période Tisseyre, Guay a repris la publication de son journal aux Herbes Rouges. Une première série plus personnelle couvre la période 1992-1994. Après un revers financier, écarté un peu plus des ses relations littéraires Guay plonge dans ses rêves, ses prières ou ses chiens à Château Richer. Il y a des trésors dans son naufrage. Puis, en 1999, on le retrouve dans un sous-sol de Beauport asticoté par le Béesse. Plus détaché, drôle encore. Description crue de la vie ordinaire des écrivains purs et durs de la littérature québécoise qui font vivre tout un monde périphérique et qui crèvent. Question cruelle : quelle est la différence de salaire entre un animateur télé, un prof de littérature et un écrivain ? Réponse synergétique.


Guay est attachant, enfant, désespérant, redondant, souvent touchant, parfois agaçant et on y revient toujours. Comme bien des blogueurs. Comme tous ceux dont on lit les journaux, de Montaigne, Saint-Simon à Renaud Camus ou Julien Green. Il m’a donné le goût de lire Léautaud et aussi, parce qu’il le fait trop bien, d’écrire mieux.

C’est déjà ça.


P.S. D’ordinaire, je déteste les parenthèses, mais à lire Guay, on ne peut s’en empêcher. Par contre, il m’a confirmé dans le renoncement aux trois points. Pas encore au point d’interrogation?

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