28 février 2006

Mariages

Il fait un froid québécois depuis quelques jours avec un vent aigre qui empêche le soleil de l’atténuer. En ce genre de temps le magoua s’active à classer ses papiers pour trouver les reçus d’impôts des deux dernières années pour calmer le fisc et lui réclamer son dû. Rentrée d’argent utile en ces temps incertains. Cette semaine de relâche me servira aussi à faire avancer quelques projets à moyen terme, nouveaux cours à proposer et possible inscription au doctorat l’automne prochain.

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Ce temps propice à la lecture m’a fait commencer l’histoire de l’homosexualité masculine de Didier Godard. Je n’en suis qu’à la première moitié du premier tome et j’aime bien. C’est une synthèse bien construite de choses lues ailleurs, chez Boswell notamment, mais le parti pris de vulgarisation ne simplifie pas trop et demeure plus agréable à lire que les traités érudits.

Lecture d’autant plus pertinente que des prêtres québécois contestent l’attitude de fermeture de l’Église locale et pontificale face à l’homosexualité. Il s’était dit des énormités à ce sujet durant le débat l’an dernier et ma lecture de Godard me rappelle quelques faits bien connus pourtant trop oubliés. Tout d’abord que le mariage comme sacrement religieux n’a été institué qu’au XIIe siècle et n’est donc pas si fondamentalement chrétien. . Qu’il existait dans le rite byzantin un cérémonial d’union de personnes de même sexe, utilisé presque jusqu’au début de XXe siècle. Que l’Église vouait un culte à Saint Serge et Saint Bacchus (fête le 7 octobre selon le calendrier liturgique) un couple de deux gars martyres romains. Ils ont même encore un sanctuaire à Constantinople, aujourd’hui Istanbul.

Saint Serge et Saint Bacchus Photo trouvée ici

La leçon de Goddard jusqu’ici est simple, la répression de l’homosexualité est quelque chose de récent et servait à des fins plus souvent politiques que morales. Je vous laisse conclure.

J’y reviendrai.

24 février 2006

Brokeback Mountain

Suis finalement allé voir Brokeback Mountain mercredi dernier. Rarement film m’aura autant ému. Les mauvaises langues diront que comme je vois un film ou deux par année, c’est normal, mais j’en suis quand même sorti tout chose et le film me hante depuis. On a tout dit sur ce film. Ce n’est pas un film gai, dans tous les sens du terme. C’est l’histoire d’occasions ratées, d’un amour impossible comme Tristan et Iseult sauf qu’il s’agit de deux Tristans. J’ai aimé la sobriété du film, ses silences, son coté ordinaire dans un espace qui ne l’est pas. Il m’a ramené à mes hésitations, à mes refus aussi. À mes silences obligés.

Ce film juge l’Amérique et son puritanisme mais, en ce domaine, elle n’a pas de leçons à recevoir de la moitié de l’humanité. Il y a des Brokeback Mountain, en Chine, en Inde, dans la moitié du monde musulman ou de l’Afrique. Dans le Québec profond des années soixante aussi comme au Wyoming.

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C’est aussi une belle observation du monde états-unien. Pauvres et riches dans les mêmes croyances, floues mais présentes. Les uns dans l’arrogance criarde les autres dans la misère silencieuse. D’un coté, le Texas exubérant, riche et sans cœur. De l’autre, le Wyoming comme une Nouvelle-Angleterre perdue dans un décor étranger. L’Amérique des louseurs.

Qui y croient encore.

21 février 2006

Au neutre

Le temps est gris. L’hiver passe au neutre. Il tombe une petite neige décorative. Le ciel a la blancheur orangée des lumières urbaines.

Je me sens un peu sur le neutre aussi. Je me cherche du boulot. Pour le moment je tâte le terrain dans les quelques universités que je connais, mais je sens qu’il me faudra aussi voir ailleurs. Un ami m’a suggéré de présenter un projet en radio que je commence à gosser sans trop savoir comment m’y prendre. Ca me ferait probablement du bien de retâter de ce media où je me suis bien amusé il y a 15 ans, mais la concurrence est féroce et le marché petit.

Et mauvaise nouvelle aujourd’hui l’appart pas cher sur lequel je comptais un peu n’en est pas un finalement, c’est plus une colocation et ce qui ne m’intéresse pas pour le moment. Dommage, le voisinage était intéressant, l’appart plus chouette et c’aurait été plus économique. D’un autre coté, cela me laisse plus de portes ouvertes.


Et la semaine prochaine je vais finalement commencer le travail de réécriture de mon mémoire pour publication en livre. Moi qui n’aime pas écrire et surtout voir le résultat imprimé j’y vais un peu à reculons en procrastinant toujours. Ça me fait toujours peur de voir mes mots figés. Mais faut ce qu’il faut et une modeste publication serait une bonne carte de visite, d’autant plus qu’un éditeur local serait intéressé.

Un bouquin, un projet radio, un projet de doc., ce blogue, tout ça fait bien de l’écrivage en vue

17 février 2006

Stanstead (un tour de machine)

Il fait un vent à écorner les bœufs. De 8 ce matin on est rendus à moins 13 et ça descend toujours. Et comme ce blogue manque de photos depuis quelque temps, sortons-en de nos archives et embarquons pour un tour de machine limologique.

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La limologie (du latin limes) étudie les frontières et les faits qui les entourent. Et comme la géographie s’apprend par les pieds, et que j’aime les excursions j’avais l’habitude d’amener mes étudiants voir la frontière Canada-USA à Stanstead. Comme je cause beaucoup dans ce genre de circonstances je n’ai pas pris autant de photos que je ne l’aurais aimé, aussi j’en ai emprunté deux pour illustrer la chose.

Derby Line au Vermont et Stanstead au Québec ne font géographiquement qu’une seule agglomération. Des deux cotés de la ligne, comme on dit ici, les mêmes familles, des francos, des anglos. J’y étais allé en excursion il y a 12 ans et on traversait aisément. Ce n’est plus le cas. Soyons francs, les USA sont devenus paranos. Et comme mon groupe comptait une européenne et un africain, pas question de traverser les lignes et beaucoup d’autorisations à demander. Et encore…

Voilà une borne frontière, rue Cordeau. Remarquez à gauche l’auto de la GRC qui nous a accompagné discrètement pendant une heure. La Canada est à gauche et les édifices sont aux USA. Un telle situation est économique: on paie l’électricité moins chère à Hydro-Québec et les impôts moins élevés aux USA. En passant ce genre de bornes se faisait voler souvent autrefois. Plus maintenant, tout est fliqué. Et je rend flous les visages pour éviter les poursuites...

Une autre maison à cheval sur la frontière et deux étudiants qui font les zouaves devant. On frôle l’arrestation, mais bon, les douaniers étaient prévenus.

On trouve aussi sur la frontière la Haskell Opera House and Free Library. (les deux photos suivantes sont de Kables sous licence CC)

C’est le dernier édifice à être construit sur la frontière, la pratique étant interdite depuis 1905. C’est le don d’un mécène local. On en voit la façade aux USA et un échafaudage international à gauche. Il y a une bibliothèque publique transfontalière au rez-de-chaussée et, au premier, une salle de spectacle réplique, semble t’il, de l’opéra de Boston. Et vous serez heureux d'apprendre que l'aide de l'état québécois a permis la restauration, le soutien américain étant plus chiche aujourd'hui. Les priorités sont ailleurs ?

A l’intérieur (superbe) on a tracé une ligne à l’emplacement de la frontière, qu'on voit en bas, à gauche Le tracé en a été peint après un litige d’assurance : un début d’incendie dans un garde-robe frontalier. Qui paie l’assureur canadien ou l’assureur américain ? (photo Kables)


Entre Stanstead et Beebe Plain, la ligne jaune de la route est également celle de la frontière sur environ un kilomètre. Qui paie pour le déneigement ? Le Québec s’en charge puisque la route dessert deux de ses villages, mais le Vermont paie la moitié des frais. Au Vermont on enfouit les fils, au Québec on fait un trottoir. Priorités d'infrastructures ?

La douane US à Beebe. On a rétréci le passage. On y a même vu une patrouille de soldats américains, chose rare avant le 11 septembre.

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C’est un peu triste de voir ces trois villages frontaliers (Stanstead et Beebe au Québec, Derby Line au Vermont) de plus en plus séparés par une ligne de presque fictive qui est devenue réelle, même surréelle depuis 2001. Le comble de l’absurde a été atteint lors de la crise de la vache folle: une équipe de jeunes baseballeurs du Québec a été obligée de faire vérifier leurs lunchs à la frontière pour éviter toute contamination aux bœufs américains.

A safer America ?

Parlez-en aux gens de la Nouvelle-Orléans.

15 février 2006

Le Snoro

Suis allé voir hier soir Jean-Pierre Ferland à grande salle Maurice O’Bready. Je ne l’avais jamais vu en spectacle aussi, malgré mes finances précaires, je ne me suis pas fait prier quand un ami m’a suggéré de l’accompagner voir sa tournée d’adieu. Et je ne l’ai pas regretté.

À 71 ans, le père Ferland est encore capable d’un spectacle remarquable. Enjoué, charmeur c’est un vieux pro mais aussi une remarquable présence sur scène. En plus de deux heures, sans entracte il présente une sorte de compilation de sa carrière. Le show se fait en trois temps :sa période années soixante un peu parisienne, sa période Jaune des années 70 et enfin sa presque renaissance des années 1990 autour d’Écoute pas ça dont il a livré hier soir une interprétation remarquable qui a soulevé la salle.

Il est accompagné de dix musiciens sur scène, d’une belle et bonne choriste tous complices et visiblement heureux d’être là. À l’entendre, on voit à quel point il a été important dans la chanson québécoise. Son répertoire est si vaste qu’il ne peut éviter de faire quelque medley pour en faire le tour. Moments merveilleux quand il reprend Sing Sing ou Un peu plus loin. Des enchaînements d’enfer entre God is an american, Soleil ou Le chat du café des artistes.

Tout s’enchaîne au quart de tour, éclairages, effets de scène et interventions de Jean-Pierre qui prend plaisir à jouer aussi de son public. A l’entendre on se rend compte aussi qu’il nous a accompagné depuis longtemps. Pourvu que ça dure.

Amis qui me lisez, ne le manquez pas s’il passe près de chez-vous.

C’est son dernier show.

En attendant le reste…

14 février 2006

Sauvages

Je viens de terminer la lecture de Sauvages de Louis Hamelin. Comme beaucoup, je l’ai découvert il y a 15 ans par La rage, qui a été une bouée à un dur moment de ma vie où j’étais salement débarqué d’un boulot que j’aimais beaucoup. Je l’ai dit ailleurs, cet homme avait écrit mon livre, ce qui m’épargnait une carrière littéraire. J’ai dévoré par la suite Cowboy et Betsi Larousse ou Le sommeil des gouffres. Moins aimé Le joueur de flûte ou les Spectres agités.

Au fil du temps, je l’ai connu par des amis communs au cours de soirées généralement assez arrosées. Un gars charmant, simple qui cache sous une certaine gêne une profonde connaissance de la chose littéraire et beaucoup d’humour. J’avais vaguement entendu parler que son prochain livre était plus proche de l’autofiction, ce qui m’étonnait un peu le croyant assez pudique.

Samedi dernier, j’entends qu’il parlera de son livre à la trop bordélique émission de radio de Cloutier. En entrevue, il parle d’une nouvelle qui décrit une soirée de l’an 2000 quelque part dans les Cantons de l’Est avec un personnage de vieux nationaliste. Ce qui fait tilt dans ma tête. Je n’y étais pas, mais bon à l’époque j’avais sous-loué la maison de campagne que j’habitais à cet ami commun qui l’avait refilée à Louis et ils avaient sauté là le millénaire avec blondes, progéniture et sans doute quelques bouteilles.

Je mets finalement la main sur son bouquin jeudi dernier, l’ouvre, le feuillette et voilà, page 104, une description précise de l’endroit où j’ai habité deux ans. Ça me fait tout drôle. Voir dans les mots d’un autre l’esprit d’un lieu qu’on a hanté. Une précision rare dans l’écriture, presque géographique. La nouvelle est découpée en moments, marqués par une heure précise. Parfois, je crois reconnaître les protagonistes, puis non, Louis a assez d’imagination (ou de prudence ?) pour transposer.

Tout le recueil forme ainsi un miroir éclaté dont les fragments reflètent chacun fidèlement quelque chose mais où il est impossible de reconstituer une image d’ensemble. Ainsi, chacune des nouvelles est un bout de territoire ou de vie, lui-même segmenté par plusieurs formes ou temps de narration. Pour relier un peu les nouvelles entre elles on croit voir un alter ego de l’auteur, changeant parfois de nom, absent ailleurs, central ici.

A priori, j’étais surpris qu’un auteur qui ne craint pas la brique se lance dans la nouvelle. J’en ai été ravi. Sans doute un peu parce que le monde dont il parle est proche du mien. Mais aussi parce que ce procédé permet de mettre en valeur la grande beauté et la souplesse de son écriture, la diversité de ses territoires et de ses errances. Bien sûr, Louis Hamelin aime le bois, les marginaux un peu décalés et ça revient souvent. Il revient même sur les traces de son Cowboy dont le pays est dévasté de coupes à blanc ; car sans appuyer sur le fait, il est un des rares auteurs que je connaisse à savoir parler des problèmes des régions éloignées avec exactitude.

La nouvelle qui clôt ce livre est sa plus personnelle. C’est aussi la plus émouvante et sans doute l’un des plus beaux textes que j’aie lu de lui. Comme tout son livre, elle lui permet de parler « De cette vie où la joie et la beauté ne se laissent deviner que pour mieux s’évanouir, toujours fantômes ».

Merci d’être vivant, Louis.

11 février 2006

Ignorances

Ce n’est pas mon habitude de citer longuement les journaux mais en lisant mon quotidien régional unique et récemment tabloïdisé, voilà que je tombe sur cet article qu’on trouve aussi chez Cyberpresse.

«Selon un sondage réalisé pour le compte du ministère des Finances en août dernier, 37% des Canadiens croient en effet que le gouvernement fédéral dépense toujours plus d'argent qu'il n'en reçoit, bref, qu'il se trouve toujours dans l'ornière des déficits.

Seulement 36% des Canadiens affirment correctement que le gouvernement fédéral nage dans les surplus, toujours selon ce sondage que La Presse a obtenu en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. Enfin, 20% des personnes interrogées sont convaincues que les budgets fédéraux sont équilibrés. (…)

De tous les Canadiens, ce sont les Québécois qui semblent malgré tout être les mieux renseignés. En effet, 41% des Québécois affirment que le gouvernement fédéral engrange des surplus tandis que 32% disent le contraire. Et 21% d'entre eux croient que le budget est équilibré, sans plus. (…)

Étonnamment, c'est en Alberta, la richissime province qui nage dans les surplus, que l'on retrouve la plus forte proportion des gens qui croient que le gouvernement fédéral croule encore sous les déficits. En effet, 44% des Albertains affirment qu'Ottawa accumule toujours les déficits tandis que seulement 28% estiment qu'il y a des surplus. Une maigre part de 17% des gens interrogés disent que le budget fédéral est équilibré. »

Tout cela illustre un phénomène assez connu des politologues : il y a peut être le quart de la population qui soit au courant des choses politiques, une moitié qui suit ce que dit ce premier quart et un dernier qui s’en fout complètement.

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Cette simple information explique bien comment l’ignorance peut fanatiser facilement la population. En cela, les réactions exagérées dans le monde musulman à cette histoire des caricatures sont exemplaires. Les médias amplifiant la chose cette histoire banale enflamme un peu tout le monde, on s’accuse, s’oppose et le soufflé médiatique se dégonflera éventuellement. Sur cette affaire, je suis bien sûr contre la censure religieuse, mais tout autant agacé par les propos des bouffeurs de curés. Je ne suis pas religieux ni croyant, mais les religions comme toute les constructions humaines sont capables du pire et du meilleur, de la guerre comme de la paix. Même chose pour les grandes et nobles idéologies sociales de gauche.

Encore là, l’ignorance crasse des uns envers les autres me semble la plus dangereuse. C’est un terreau pour tous les fanatismes. Je ne peux m’empêcher ici de revenir sur le phénomène de la droite québécoise. C’est en tablant sur l’ignorance que tous les Fillion, Athur et autres grandes gueules ont fait leur beurre et créé le phénomène des X. C’est en ignorant ou en regardant de haut ce Québec profond que les politiquement corrects de gauche du Plateau ou d’ailleurs l’alimentent.

On peut rêver qu’ils se parlent un jour.