28 décembre 2012

La fin décembre (Adieu, l'ami)


J’ai devant moi une pile de livres de l’ami en allé. Yves Boisvert était poète. Il laisse dans le deuil outre sa blonde, sa famille et ses amis quelques boites de livres qui traînent dans les entrepôts. Parfois aussi dans les rayonnages de bibliothèques publiques ou privées.

Je ne saurais juger de son œuvre. Des universitaires patentés la disséqueront selon les modes littéraires du jour. On peut aussi souhaiter que de jeunes poètes la lisent au hasard des circonstances.

Mais on ne pourra plus l’entendre.

J’ose le gros cliché : Yves était homme de parole(s). Je l’ai connu il y a vingt ans, alors qu’il prêtait sa grande voix à la poésie québécoise contemporaine, cette émission de radio (communautaire) qu’il enregistrait à CFLX. Pour vous dire le genre, ça commençait par la grosse guitare sale d’Ayoye d’Offenbach. Fade out avant les paroles. Le contenu était simple : Yves lisait des extraits de parutions récentes en poésie, trois minutes maximum (comme au festival)  ensuite, musique. Du Garbarek souvent. Il terminait en rappelant les titres lus et concluait en une phrase ou deux qui fessaient dans le dash de l’actualité ambiante. Mon rôle là-dedans était simplement de faire le technicien. Il m’impressionnait, c’est rare de voir un vrai poète et en plus ses émissions étaient impeccablement préparées, chose rare en radio communautaire. Une fois les émissions enregistrées on descendait au Magog prendre une grosse bière ou deux. Je ne me souviens plus si c’est au hasard de ces soirées qu’il rencontrera sa complice et amie Dyane qui était une habituée de ce bar où on allait tous les soirs...

Il y a eu beaucoup d’autres bières depuis. Des bouteilles de vin aussi. Mais aussi de grandes conversations. Je me souviens de longues marches avec lui à observer et disséquer les fils INVISIBLES dont Monsieur le comte Diderot emmaillote le Québec.  Mille autres fois  à l’écouter vitupérer contre les fédéralistes, les bureaucrates, banquiers, toute cette engeance d’administrateurs patentés et autres frimeurs émmebiéisés..

Quel conteur aussi, une verve rurale dans un vocabulaire qui n’admettait pas l’à peu près.  Je me souviens d’un épisode d’une série radio que réalisait et animait mon ami Daniel Desroches. On faisait des tours de machines dans les cantons de l’Est et j’y racontais les territoires traversés. On avait eu l’idée d’inviter Yves en se dirigeant vers l’Avenir, son village natal. Au hasard du chemin, on s’arrête près d’un étang à grenouilles. Boisvert part en chasse. Le résultat fut concluant :

Yves Boisvert, chasseur de grenouilles; remarquez la mimique très boisvertienne.
La grenouille a repris sa liberté par après.
(photo: Patricia Godbout communiquée par Daniel Desroches)
Tout le reste de cette émission a été magique, de l’histoire de Jean-Baptiste-Éric Dorion, l’autre enfant terrible de l’Avenir, racontée en l’église même, jusqu’au concert de vraies cloches à vraies vaches en finale.

Si Yves parlait beaucoup, il écoutait aussi. Sa poésie se nourrissait autant du monde des tavernes que de l’astrophysique. Boulimique lecteur jusqu’à la fin, le monde le nourrissait parce qu'il est ainsi fait qu’il faut le défaire pour qu’il se tienne debout. Curieux de tout, je ne me suis pas gêné pour lui faire partager ma passion toute géographique des territoires. Lui savait les rendre en mots.

Yves était un ami. J’ai peu d’amis et je ne les vois que trop rarement. Ils existent toujours de par ce qu’ils ont changé en moi en mieux. De Yves, je retiens la verve, le sens du mot qui porte et qui change l’auditeur. Très utile en salle de classe. Il en avait fait la démonstration éclatante en octobre 2001 alors qu’il était venu lire en classe Bang, son poème post 11 septembre. Je me souviens de la stupeur des étudiants à la fin et de l’ovation qui a suivi. Je me souviens aussi de ce même poème lu en duo avec l’Amérique de Jean-Paul Daoust dans cet espace éphémère que Dyane avait offert aux poètes et artistes. Inoubliable. Insubventionnable, évidemment.

Il y a mille autres facettes au personnage. Le colérique qui savait aussi être d’une douceur et d’une gentillesse rares.  Le patriote, bien sûr.  Peut-on aimer tant sa langue et ne pas lui offrir un pays à habiter? Cet homme a su se tenir debout toute sa vie et même devant la mort, avec le courage et le soutien de sa Dyane. Je connais une province qui devrait se lever avant de subir le même sort.

En tout cas, merci, Yves, de m’avoir rendu meilleur.