30 janvier 2011

Sur le neutre


C’est une journée blanche et grise. Il ne fait ni froid ni doux. Il ne fait pas franchement soleil, mais on le voit de temps en temps et, au moment où j’écris, il se couche tout orange au dessus d’un mur de nuages. Il neigeotte un peu, des fois plus des fois moins, ce genre de flocons tout légers qui mettent une éternité à choir, comme s’il voulaient musarder et explorer leur monde avant de se fixer au sol.

Je me sens un peu comme ça aujourd’hui. Je varnousse. Un peu de préparation de cours, beaucoup de lectures de blogues, une brassée de lavage et un début de ménage dans mon ex-bureau. C’est assez typique de ce temps de l’année, le bruit des fêtes se calme, la routine de la session s’engage. Pour tout dire je me sens un peu sur le neutre, sur l’erre d’aller.

C’est une situation confortable,  assez plate finalement mais n’est-ce pas là l’idéal de nos sociétés modernes. ? Étre satisfaits, entourés de richesses comme peu de sociétés avant nous ? Un peu vedge, on consomme  les uns de la culture savante,  les autres du hockey, de la télé. On rêve pourtant à mieux, plus de bébelles ou d’action, un prince charmant ou de la santé, puis on se dit qu’il y a pire.

On pourrait être en Égypte et réclamer la même chose ?

Quand même pas. 

25 janvier 2011

Quinze livres: une feuille en hiver

Les grands froids d’hier on fait place à une petite neige. La rivière Saint-François devient une abstraction, tracé noir et géométrique au milieu de la gangue blanche de ses deux rives. J’ai beaucoup souri hier à la panique médiatique. Oui, il faisait moins trente-deux le matin. So what ? On appelle cela l’hiver au Québec et il me semble qu’on a toujours deux ou trois vagues de froid semblables entre décembre et mars. Et ça dure parfois plus d’une semaine. Juste embêtant pour aérer l’appart maintenant que j’ai réarrêté de fumer. Profitons-en pour durcir l’exercice : rédaction d’un texte sans boucane. Une seule feuille aujourd'hui, peut-être d'amélanchier.

***

Ah le docteur Ferron ! Curieusement, le premier livre de lui que j’aie lu ne m’avait pas impressionné plus qu’il ne le faut. Je l’ai lu dans un cours de roman au cégep, vers 1978 et il était obligatoire. Les roses sauvages est un livre triste, dans la veine où Ferron regarde des gens de peu décrocher lentement du monde. Je ne savais pas qu’au même moment l’auteur faisait la même chose. Pourtant Ferron était une célébrité à Longueuil. Le fondateur du parti Rhinocéros habitait à deux pas de mon gros cégep et j’avais même eu la curiosité d’aller voir son bureau de médecin, sur le chemin Chambly.

C’est peut-être vingt ans plus tard que j’ai redécouvert son œuvre. D’abord les Escarmouches, recueil des ces historiettes et autres articles qu’il a multiplié dans les journaux. J’y ai savouré son ironie parfois féroce qui savait mordre les élites là où ça fait mal. Mais j’ai surtout lu un des plus grands connaisseurs de l’âme québécoise. Il a su la sortir de son empaillement folklorique catholique-français pour la montrer diverse,  métissée de touches irlandaises ou amérindiennes, britannisée aussi par les écossais et les anglais, toujours franchement amériquaine.  Il a su aussi aller derrière le décor du Québec des gros villages de pour trouver celui des écarts, celui des hommes libres qui savent voir que la vanité des élites politiques et religieuses n’est rien d’autre que le masque commode que se donne un peuple profondément inquiet, parfois rebelle et qui se tait pour survivre dans un pays incertain.  On le sent parfois désolé de voir ce peuple s’anesthésier dans le confort de la grande  banlieue universelle. Je pense qu’il n’a pas tort.


J’ai parlé souvent de Ferron dans ce blogue, son plus grand livre est sans doute Le ciel de Québec, récemment réédité en poche à la bibliothèque québécoise. L’édition est heureusement annotée, ce qui permet de savourer toutes les clefs, tous les clins d’oeil qui fourmillent dans le récit. Ce n’était pas le moindre talent de cet écrivain que de savoir distiller dans ses livres sa connaissance encyclopédique et pratique du Québec. Les études ferronniennes sont encore très vivantes, on en a l’écho dans ce très vaste site qui lui est consacré. On y trouve quelques historiettes, ce qui ne gâche rien. 

15 janvier 2011

Un beau vieux film

L'autre jour, j'entendais des étudiantes parler de La belle et la bête et de louanger le film de Disney. Je n'ai pas pu m'empêcher de leur demander si elles connaissaient la version de Jean Cocteau. Dans le brouhaha de la fin du cours elles m'on dit que non. Elles ne connaissaient probablement pas Cocteau non plus. Moi non plus, si ce n'avait été de cette curieuse prof du cégep qui nous avait fait lire la Difficulté d'être dudit Cocteau. J'avais aimé ce livre, ce qui m'a amené à écrire un texte dans le genre de plutôt que de faire le banal résumé. Dans ce temps là, les profs nous proposaient souvent ce choix et j'aimais mieux m'épivarder en création plutôt que de résumer banalement. Payant coté note, puisque personne ne le faisait, utile aussi pour l'exercice d'écriture et l'introspection demandée dans le contexte.  Je me souviens d'avoir pondu un texte sur les masques, ceux que l'on se donne et qui, à force de les porter, nous transforment à leur tour. Mais le masque, on le choisit aussi... Elle avait bien aimé.

C'est dans ce cours qu'elle nous a présenté le film de Cocteau. Et le hasard avait fait que dans notre groupe, il y avait une dame qui était figurante dans son film. Je vous laisse imaginer les potins du plateau de tournage, toujours sous entendus (on est en 1979), mais néanmoins explicites. Le film est daté. La langue des comédiens va du français classique à la gouaille des banlieues de 1940. Mais bon, Cocteau avait un flair, une audace et le carnet d'adresse que ça prenait. C'est un conte pour enfants que seuls les adultes peuvent comprendre.

Ça se trouve sur You Tube.

13 janvier 2011

Quinze livres: suite de l'effeuillage

L'hiver revient. Les dernières plaques de gazon sont maintenant recouvertes d'un bon 15 cm de neige folle. Après l'université il y a deux semaines, la session commence lundi au cégep. Un bel horaire, que des cours le matin. Je suis lève-tôt, ça me va. Quant à mes jeunes, je suis moins sûr. Un pétard qui explose dans une classe à 8h30 peut-il être considéré comme un outil pédagogique ?

***
Il est plus que temps de revenir à cette série amorcée il y a un mois voici donc trois auteurs qui ont été importants dans ma vie.

Le cégep a été pour moi un moment où j’ai fait beaucoup de lectures qui ont formé mes idées. Je dois à mes cours de philo d’avoir découvert Lewis Mumford. Non pas qu’on l’ait étudié mais parce que la revue Critère animée à l’époque par Jacques Dufresne avait organisé un concours d’écriture sur les questions urbaines qui m’intéressait. C’est parcourant ce numéro que j’ai découvert le classique de Mumford qu’est La cité dans l’histoire (The city in history) et renoncé à écrire ce texte. Dans ce livre,  faisant l’histoire des villes et de l’urbanisme, il plaide pour un retour à l’échelle humaine, pressentant le saccage qu’entraînait l’automobile ou l’inhumanité des idées modernistes de Le Corbusier et consorts. 

Son dernier grand livre, The myth of the machine (horriblement traduit en français) m’a encore plus impressionné. C’est un livre pessimiste où il ne condamne pas tant la technique en elle même que sa manipulation intéressée par ce qu’il appelle la mégamachine, vaste conglomérat des intérêts financiers militaires, industriels et politiques qui n’a d’autre fin que de se reproduire et d’élargir son emprise. Il en résulte une déshumanisation du monde, une croissance qui ne tourne que pour elle-même. Disons que depuis quarante ans que ce livre a été écrit les faits ne lui ont pas donné tort. Oui, grâce à internet  l’information circule et n’a jamais été aussi accessible, mais je me demande si cette omniscience virtuelle ne cache pas une plus grande ignorance du monde réel. Malgré son pessimisme, il conclut « But for those of us who have thrown off the myth of the machine, the next move is ours: for the gates of the technocratic prison will open automatically, despite their rusty ancient hinges, as soon a we choose to walk out » C’est un principe qui m’a toujours guidé.  



Mon premier contact avec l’œuvre de Raoul Blanchard s’est fait de la pire manière possible. Après une année mouvementée, le collège où j’ai fait mon secondaire 3 m’avait obligé à reprendre quelques travaux de session. Je ne l’ai finalement pas fait, ce qui m’a valu un changement d’établissement, par ailleurs bénéfique. Parmi ces pensums, il y avait celui de résumer la synthèse des Études canadiennes de Raoul Blanchard qu’était le Canada-Français version 1960.  J’ai lu le livre avec passion mais on comprendra que de résumer les 300 pages d’un livre qui en fait la synthèse de 1500 était au dessus des forces d’un ti-cul de 14 ans. Sans le savoir, mon prof de géo incompétent avec qui je m’étais chicané a confirmé ma passion pour toutes les choses géographiques. La prose de Blanchard avait aidé. Ce disciple de Péguy a une bonne plume, comme bien des géographes de son époque. Il avait le tour de dynamiser de longues énumérations de faits ou de données pour en arriver à en tirer le trait original, celui qui donne un sens. Ajoutez-y un don de la métaphore qui tue et vous aurez une description des collines montérégiennes qui sont comme « un lâche troupeau de pachydermes étalés dans la plaine de Montréal » et vous avez là un modèle d’analyse géographique jamais ennuyeuse à lire.

 Bien des années plus tard, alors que je débutais mon bacc en géographie, mon frère a suggéré à mon père  de me donner pour mon anniversaire la série des cinq gros volumes de Blanchard sur le Canada-Français. C’est le plus beau cadeau que j’aie eu. Je les ai savourés tout l’été, ce qui les a bien abimés mais m’a rendu assez incollable sur la géographie québécoise. Je rêve un jour d’avoir le temps, l’énergie et la discipline (!) pour rajeunir cette magistrale étude qui n’est guère plus lue que par les historiens. À une époque où les géographes se surspécialisent, il me semble que c’est oublier qu’une des qualités de la discipline est bien son sens de la synthèse des rapports que les humains ont avec leur milieu. (1)


 

Ce rapport est au cœur de la pensée du dernier auteur dont je parlerai aujourd’hui. Il s’agit de l’écologiste Pierre Dansereau. Je l’ai découvert dans le bon vieux Répertoire québécois des outils planétaires que Mainmise avait publié vers 1975. On y faisait grand cas de ce volume qui introduisait une grande étude sur l’impact écologique du défunt aéroport de Mirabel. Dansereau est l’un des derniers survivants de ce groupe d’hommes exceptionnels que Marie-Victorin avait réunis autour de lui, il sera d'ailleurs centenaire cette année. C’est un penseur original qui a voulu faire un pont entre l’écologie bio-biologique et les sciences humaines. Ainsi, contre la classique pyramide de transformation/prédation/recyclage des milieux naturels, il  propose la boule de flèche qui permet d’élargir la notion d’écosystème aux paysages et territoires humanisés.(2) Par exemple, l’appartement où vous vivez est un écosystème qui importe d’autres écosystèmes des produits (de l’électricité aux aliments) qui y sont utilisés et dont les résidus sont ensuite exportés vers d’autres écosystèmes, un dépotoir, disons.

Cette manière de voir le monde comme un réseau d’écosystèmes interreliés a été pour moi une révélation importante qui m’a permis de m’initier ensuite à la systémique et d’intégrer toutes les notions que j’ai pu apprendre dans mes études. Cela s’est d’ailleurs terminé par mon interminable mémoire de maîtrise où, à l’aide des concepts proposés par Dansereau,  je me suis amusé à construire l’histoire écologique ou la géohistoire d’un village des Cantons de l’Est. Et pas besoin de vous dire que quand mon directeur m’a proposé monsieur Dansereau comme lecteur externe du mémoire j’ai été plus qu’honoré. Il avait 94 ans et je pense que j’ai été son dernier étudiant. Il a bien aimé mon travail. (3)

(1) En bon universitaire, Blanchard a publié tout le contenu des ses cinq grands livres dans la Revue de géographie alpine qu'il avait d'ailleurs fondée. On peut les retrouver dans le merveilleux portail Persée, qui a numérisé bien des revues savantes, suffit d'y écrire (en recherche avancée) en titre Études canadiennes et en auteur Blanchard et magie tous les articles sont disponibles en fichiers pdf.  

(2) Pour comprendre la pensée de Pierre Dansereau dans ces années là, il y a cet entretien avec Joël Le Bigot, du temps où il savait se taire.

(3) Pour connaître l'homme tel qu'il est, il y a ce documentaire que son cousin Fernand Dansereau lui a consacré.  Son titre, Quelques raisons d'espérer résume bien ce qu'il est, et pour l'avoir rencontré  avec un groupe mes étudiants, c'est tout à fait lui. Simplement humain. Avec son drôle d'accent d'Outremont.

4 janvier 2011

Un peu de folklore

Un peu de neige ce soir, alors que je  me remets de mon sprint bisannuel de corrections. Déjà un premier cours demain à l'uni... les vacances sont courtes.  Heureusement que le cégep commence plus tard.

Le temps des fêtes ramène toujours un peu la musique traditionnelle, le Trad comme on dit maintenant. Voilà que j'ai finalement trouvé sur You Tube quelque chose que que je cherchais depuis longtemps. Il s'agit d'un extrait de la série télé L'homme et la musique que Radio Canada et la CBC avaient produite au milieu des années 1970. Un des grand moments se passe quand le célèbre violoniste classique et narrateur de la série, Yehudi Menuhin  joue un duo avec l'un des grands viololonneux québécois qu'était Jean Carignan sur une pièce qu'André Gagnon lui avait dédiée. Assez émouvant.






Le moment était d'autant plus magique que Menuhin était l'idole de Carignan. En lisant les commentaires sur You Tube on comprend aussi que ce folklore de rigodons de gigues de reels et autres quadrilles est le produit d'influences irlandaises, écossaises ou anglaises ajoutées au vieux fond français. Un métissage, bien avant que cela ne devienne la vertu de notre modernité. Allez, deux autres pièces de Jean Carignan.  l'increvable Rêve du Diable:







Et, soyons chauvins, la gigue de ma ville, podorythmie comprise:




Ça doit pas être facile de taper du pied en jouant du violon....