Je n'écris plus dans ce blogue et au risque d'en faire une rubrique nécrologique voici cet hommage à un ami mort tragiquement sous les glaces de la rivière Saint-François.
J’ai connu Réal Bergeron sans le savoir. Il animait le soir à CFLX une émission d’humour très douce, sourire en coin. Ce ne pouvait pas être autrement puisqu’elle s’intitulait Brigitte et s’ouvrait sur la chanson Brigitte, petit chef d’oeuvre de Brigitte Fontaine. J’entends encore sa voix basse, ironique et pourtant fragile nous débiter des aphorismes de son cru dans son inimitable accent beauceron-lorrain.
À l’époque, j’était braqueur à Braque, chargé par mon ami Desroches de chroniquer les revues et la Steph de Monac occasionnelle.
J’allais connaitre Réal, devenu directeur de la station en entrevue d’embauche. À l’époque, devant le taux de chômage astronomique, l’assurance chômage et le Béhesse rivalisaient de programmes d’emploi généreux et arrosaient copieusement les groupes communautaires pour se refiler ces jeunes et diminuer les statistiques. L’entrevue fut désastreuse. Pistonné par Réal, qui me connaissait de Braque, j’ai surtout effrayé la responsable de l’information au CA par mon attitude dégingandée. Il me réchappa quand même et c’est ainsi que je devins journaliste à CFLX.
Suivirent cinq années de gros plaisir. Dégrossi en journalisme par Marcel Gagnon et en relations publiques par Louise Larreau, je me suis pris de plaisir à couvrir le municipal avec les collègues Dufresne de La Tribune, Flannagan et Larochelle de CHLT et Proulx à CJRS qui m’ont aussi montré le métier. Et comme le maire de l’époque était pittoresque on s’est beaucoup amusés. Je dois aussi à Réal de m’avoir permis toutes les rencontres et expériences merveilleuses qui s’en suivirent. Oui, de belles années de ma vie.
Rien n’était facile à CFLX. L’argent manquait toujours et le pari d’essayer simplement de stabiliser l’emploi des tous les talents qui y sont passés était impossible à relever. Mais Réal a toujours réussi à y maintenir une sorte d’exigence, ce que les administrateurs patentés d’aujourd’hui diraient une vision. Elle était simple: faire de la bonne radio. Quant à savoir ce que cela voulait dire, je ne l’ai jamais trop su. Fallait simplement le faire.
Il y avait quand même une chose: le «son» CFLX. Réalité protéiforme qui synthétisait tous les apports de tous et celles qui faisaient cette radio, des bénévoles aux gens de jour, oreilles aguerries et ouvertes. Du franco oui, de Brel à Bérurrier Noir en passant par Sarcloret, Thiéfaine. Québécoise aussi, à découvrir Desjardins et les mille chansons passées aujourd’hui sans oublier les Corcoran, Séguin de toujours. De tous ces chanteurs, Réal n’était pas toujours convaincu au départ, mais jamais fermé. Même que Yves Bernard l’a presque convaincu d’aimer la musique du monde…
C’est peut être ce qui lui a permis d’être le recordman de longévité des directeurs généraux de radios communautaires urbaines. Quand je lui ai succédé, j’ai pu constater que sa réputation était légendaire dans les radios communautaires du Québec. Même la hautaine DG de CIBL, une certaine Line Beauchamp, ne tarissait pas d’éloges à son endroit. Dommage qu’elle n’ait pas appris plus de lui sur la gestion de crise.
Quand j’ai succédé à Réal à la direction de CFLX, j’ai pu le connaitre autrement. J’ai vu un homme sérieux, impitoyable et rigoureux sur les comptes, conscient de tout ce qu’il avait fait de juste ou d’injuste, de bon ou de mauvais. Fatigué aussi peut-être, faute de moyens, de dire non au souhaitable en se résignant au possible. Il m’a surtout appris que sans la passion il vaut mieux s’en aller ailleurs. Mon CA ne tardera pas à me trahir en ce sens. Ce sont choses qui blessent le gens qui doutent mais qui ne le montrent pas. S’en suivent des plaies difficiles à cicatriser qu’on évite ensuite de réouvrir.
Quand on doute peu, on change plus souvent d’opinion. Myopie du portefeuille.
Mon plus grand plaisir aura été de revoir Réal en dehors de la radio. C’est que je savais qu’il aimait l’art, pratiquait la peinture même si je n’ai jamais compris la sienne, ce qui le faisait bien rire. Mais quand j’enseignais au Bac en enseignement secondaire, il m’est arrivé souvent d’avoir recours à ses services. Vous dire comment il savait simplement interroger, l’air de rien, un groupe de jeunes devant des peintures, leur en faire parler, les écouter les amener ailleurs, simplement un peu plus haut qu’ils étaient. Il était heureux dans un musée.
Je le revois au Musée des Beaux Arts de Montréal, il nous amène devant l’Étoile Noire de Borduas, une oeuvre que j’avais vue cent fois, m’accrochait l’oeil sans qu’elle ne me dise rien. Je le provoque: qu’ont à dire ces cinq taches noires sur fond blanc ? Et Réal d’expliquer que rien de cette toile n’est innocent, que sa composition est parfaite dans sa stabilité et son instabilité etc. Sans pédanterie, en faisant simplement comprendre de se laisser aller en gardant le yeux ouverts, il a convaincu tout le groupe de savoir regarder l’abstrait sans préjugés.
En même temps ce jour là, il est resté contemplatif devant une oeuvre plus réaliste, l’Heure mauve d’Ozias Leduc. Il me l’a expliquée. Je n’en avais jamais vu la beauté et je pense à lui quand je la revois.
C’est pour cela que Réal Bergeron était mon ami, il m’a appris à mieux voir. Et à douter toujours mais naïvement, sans trop laisser paraître. Arrivera ce qui arrivera, l’intendance suivra.