11 septembre 2005

Nancy Huston contre les méchants

Dans l'avant-dernier numéro de la revue L’Inconvénient il y a un compte-rendu de lecture qui m’a laissé perplexe et mal à l’aise. Yannick Roy commente le dernier livre de Nancy Huston (que je n’ai jamais lue) Les professeurs du désespoir où elle pourfend les auteurs à son avis néantistes ou mélanomanes, c'est-à-dire noirs et désespérés. Sa liste est assez éclectique : cela va de Becket à Cioran en passant par Kundera, Houellebecq, Shopenauer et même Christine Angot. Elle reprocherait à ces auteurs non seulement de corrompre la jeunesse mais d’être des apares c'est-à-dire des gens qui n’ont pas eu d’enfants.

Contre ce noir complot Huston s’allie à une déesse Suzy incarnation imaginaire du féminisme et de ses valeurs qui «accepte épouse et embrasse le changement» sautille sur son chemin, bref l’antithèse d’un Dieu froid, sévère et distant. Avec raison, Roy se retient de rire devant le comique de la chose tout en restant inquiet.

Sous l’angélisme du monde mignon que chérit Huston se cachent deux choses qui le sont moins. D’une part, cette idée d’aller béatement avec le monde qui va, me semble correspondre plutôt à subir joyeusement le décervelage médiatico-économique dominant. Soyons heureux, soyons festifs pendant que la plus grande partie de humanité s’enfonce dans la misère.

D’autre part, cette condamnation des mauvais auteurs, de la littérature triste me rappelle tous les index, toutes les censures au nom des bonnes mœurs, de la morale ou du paradis socialiste. C’est d’ailleurs un défaut de certains mouvements féministes. Au nom de la protection de l’image de la femme on exige la censure de choses déterminées par elles choquantes. Je me souviens qu’à la radio communautaire, les seules demandes d’interdictions de chansons venaient de groupes de femmes. Dans leur ligne de mire le classique Fais-moi mal Johnny de Boris Vian et Magali Noël, Lemon incest de Gainsbourg et Cœur de loup de Philippe Lafontaine à cause de ces deux vers : la victime est si belle et le crime est si gai, incitation directe au viol, selon elles.

Le C.A. de la radio de l’époque avait eu l’habileté de confier l’élaboration d’un quelconque code à l’une de ses membres précisément impliquée des ce milieu des groupes de femmes. Conclusion au bout de trois mois : impossible d’élaborer une telle politique sans ouvrir la porte à toutes sortes de censures plus dangereuses.

Tout ça pour dire que derrière les choses mignonnes se cachent souvent des monstres insoupçonnés. L’enfer est pavé de bonnes intentions. Semblerait que madame Huston veuille y ajouter une couche. D’ailleurs, selon elle, un bon écrivain doit avoir changé des couches.

Avis aux amateurs.

Aucun commentaire: