26 septembre 2005

De blogues en blocs

Beau débat linguistique chez Finis Africae sous le thème doit-on enseigner les langues régionales en France ? Je me rends compte que, vue du Québec, la question se pose différemment. Ici l’usage du français ramène toujours à une résistance, un refus de s’intégrer à l’Amérique anglophone. Là-bas l’assimilation ou la standardisation du français correspond à une sorte de construction nationale. Ici, l’histoire est différente, le français s’est standardisé rapidement, les bretons, normands, picards, poitevins ou gascons arrivés en Nouvelle-France devant se trouver rapidement une lingua franca. Par la suite, la langue a évolué différemment en Acadie, dans l’Est et dans l’Ouest du Québec et des accents régionaux sont apparus. Au contact de l’anglais, la langue s’est sans doute créolisée un peu mais, dans le contexte social de l’époque, les élites veillaient à la pureté de la langue et voyageaient en France, si bien qu’on est resté avec un bon accent. Sans trop perler, sauf à Outremont. Quant aux langues amérindiennes... c'est une autre question et j'y reviendrai un autre jour.

Ce qui n’empêche pas que notre accent soit ou pittoresque ou insupportable à bien des français. Je lisais hier un commentaire sur La turbulence des fluides où l’auteur disait n’avoir rien compris au film à cause de l’accent canaDIEN. Je parie qu’il comprend tout Pagnol. Voire même le céfran. Simple question d’oreille, mais comme les télés françaises ne diffusent que rarement nos séries, voire même les doublent, ce n’est pas demain la veille… Alors que les malheureux doublages français des soaps américains nous font rire depuis trente ans et sont parodiés dans RBO ou Le cœur a ses raisons, par exemple.

Bien sûr le franco-québécois n’est pas la norme et notre français est loin des standards parisiens. Mais pas plus, il me semble, qu’un gros accent du midi.

***

Mais là où ces normes deviennent agaçantes, c’est quand les administrations françaises s’en mêlent (ou s’emmêlent ?). On a su la résistance administrative française au mot courriel (mél, qu’y fallait dire). Ben voilà t’y pas que la Commission générale de terminologie et de néologie de la République en remet une couche. J’ai découvert la chose en lisant l’article blogue du Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française dont je cite cet extrait :

«En France, le terme bloc-notes et sa forme abrégée bloc ont été adoptés, le 20 mai 2005, par la Commission générale de terminologie et de néologie comme équivalents français de blog. En raison de leur manque de précision, de leur inaptitude à produire des dérivés adéquats et d'une concurrence inutile avec le terme blogue, déjà utilisé par un grand nombre de francophones, ces deux termes n'ont pas été retenus pour désigner la présente notion.»

Verification faite, cette Commission pleine d’académiciens infaillibles depuis Richelieu a bel et bien entériné bloc-notes comme usage officiel.

Le créateur de cet organisme, un certain Alain Juppé, préfère quant à lui avoir un blog-notes.

Délinquant va !

9 commentaires:

Marianne a dit...

De toute façon en France tout le monde suit l'avis du grand dictionnaire terminologique, et certainement pas celui cette commission de terminologie qui donne un mot tous les 36 du mois, et si possible inemployable. En vérité nous sommes tous jaloux du GDT :-). Heureusement que les québecois sont là pour sauver la langue française...

Anonyme a dit...

Je viens justement de revoir "La turbulence des fluides" (génial) et il n'y a que quelques rares passages où l'accent est un peu trop prononcé à mon gout. Je pense que l'on peut buter (je suis Breton) sur certains mots de vocabulaire auxquels nous ne sommes pas habitué MAIS pas au point de ne pas comprendre le sens général !
Sinon, en France, personne ou presque ne connait cette "commission", on en entend juste parler le jour où elle pond ses "perles", on rigole bien puis on l'oublie ;-)

magoua a dit...

Marianne: en effet j'ai été surpris de la richesse du site du GDT, et metons qu'on est en avant-poste face à l'anglais.

Un loup : ouep et en plus sur le web le site est plus ou moins à jour Persuadé que le gouvernerment Charest sous-traiterait bien leurs activités terminologiques pour pas cher ;-)
Quant à la turbulence des fluides, le pire, c'est que je ne l'ai pas vu, suis pas très cinéphile... Cordonnier mal chaussé que je suis !

Anonyme a dit...

La CGNT date d'environ 35 ans et elle n'est pas composée d'académiciens. Il s'agit en fait de fonctionnaires appartenant à différents ministères, les plus nombreux sont ceux des Finances et de l'Industrie. C'est un organisme transversal. Elle est chapeautée par la DGLF qui appartient, elle, au ministère de la Culture. La CGNT fait des propositions (« bloc » en est une), l'Académie les examine et donne seulement un avis lequel peut être ignoré. Ensuite, la recommandation signée par les ministres compétents ne s'applique qu'aux agents de l'État ou des entreprises publiques.

Much ado about nothing.

magoua a dit...

Dominique : vous connaissez sans doute mieux que moi les méandres de l’administration française et je souscris à votre conclusion, dans la langue même de Shakespeare, ce qui est ironique, vu le sujet ;-)
Je ne me suis fié pourtant qu’à ce que j’ai bien lu sur les décrets constitutifs de ce machin et les listes de membres qu’on trouve sur le site. http://www.culture.gouv.fr/culture/dglf/
Si je comprends bien, ce comité est honorifique et les fonctionnaires concernés font le boulot. Question naïve : pourquoi existe-t’il alors ?
Je retiens néanmoins que sa recommandation est officielle et, pour dire le moins, un peu à coté de la plaque. Comme mél pour courriel. Sans que j’aie pu en trouver une justification quelque part, alors que le GDT rend son raisonnement public.

Anonyme a dit...

La CGNT n'est pas constituée de spécialistes de la langue, mais d'ingénieurs et d'énarques compétents dans un domaine précis qui se réunissent quelques heures par trimestre. Ils sont assistés par quelques enseignants qui préparent différentes suggestions sans faire partie de la commission, puis celle-ci vote.

J'ai immédiatement réagi contre cette ânerie de bloc et je l'ai justement comparée à l'idiotie d'abréviation légale en Mél. (majuscule, point) qui n'est jamais entrée en vigueur, sauf dans les articles au sujet de... Dans ce dernier cas, personne n'y comprenait plus rien.

Voici ma première note à ce sujet, elle cite d'autres absurdités figurant dans le même avis (dont l'application reste encore purement virtuelle) :

http://champignac.monblogue.com/main.php/2005/05/21

(J'ai changé d'hébergeur de blogue entretemps).

magoua a dit...

Je crois qu'on a changé d'hébergeur pour les mêmes raisons ;-)
Merci des précisions et de l'occasion de découvrir un blogue d'une amoureuse de la langue...

Anonyme a dit...

Tous les Français ne considèrent pas l'accent québécois comme insupportable ou bêtement pittoresque. Pour un tas de gens, dont moi, il s'agirait même d'un accent assez agréable à entendre et sans connotation particulière. Juste un accent, quoi.

Quant aux doublages des séries américaines à l'eau de rose, même les Français les trouvent débiles.

Ceci dit, je ne fais pas partie des gens qui pensent que les Québécois réussissent mieux que nous à préserver leur langue de l'influence de l'anglais. Vous le remarquez vous même, le français de chez vous s'est pas mal "créolisé". Les Québécois ont tendance à importer un tas de mots et d'expressions directement de l'anglais quand les Français adaptent et transforment (sans doute par incompréhension du sens initial des termes récupérés, mais le résultat est là).

Mais bon, cette comparaison n'est pas un jugement de valeur. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'avoir raison ou tort, même si, parfois, et en dépit de cet accent agréable, on peut avoir l'impression que les Québécois s'expriment en anglais traduit.

Anonyme a dit...

Hugues : « Les Québécois ont tendance à importer un tas de mots et d'expressions directement de l'anglais quand les Français adaptent et transforment ».

Je pense qu'il faut distinguer un bon nombre de faits. Les Français adaptent ou déforment la prononciation des mots anglais, parfois un peu la graphie, mais ils inventent aussi de faux mots d'apparence anglaise. Les Québécois suivent plus la prononciation anglaise, ils calquent les traductions d'expressions (certaines propositions de l'OLF sont assez exemplaires) et surtout font des constructions de phrases à partir d'un schéma anglais (ce qui me semble le plus grand danger). La perception de la langue ne peut pas être la même dans des environnements différents. En Europe, l'anglicisme est souvent la marque d'un snobisme, d'une ironie, d'une prétendue modernité ; au Québec, cela ne sera jamais le cas, mais le fait d'une pression sociale et culturelle qui s'exerce chez les personnes les plus défavorisées. Et c'est encore compliqué par le fait qu'il existe un certain ressentiment québécois envers les maudits Français qui voudraient faire apprendre le français le plus correct selon des normes parisiennes (ce dont je me fiche un tout petit peu puisque mes ancêtres étaient sujets autrichiens du temps des Plaines d'Abraham et qu'ils se sont soudain retrouvés Français après). Il faut donc nuancer et voir aussi les contextes, les modes d'emploi, sans généraliser et sans se jeter des anathèmes à la figure ou sans dire que c'est l'autre qui est, tels des gamins.