Le décès récent de Jacques Lacarrière m'a mené à lire un des ses livres Ce bel et nouvel aujourd’hui dont j’avais parcouru la première version il y a une dizaine d’années. Charmant livre où il attire notre regard sur les beautés du monde moderne, ce qui est à peine paradoxal pour un helléniste et un contempteur de la société automobile.
Dans une de ses plus belles pages, il décrit une raffinerie de l’Étang du Berre. Tout jeune, j’étais fasciné et émerveillé par les lumières et les torchères de feu des raffineries de Montréal-Est qu’on voyait de l‘autre coté du fleuve. Puis elles sont devenues dans mon esprit une nuisance à l’environnement et maintenant elles seraient une infrastructure stratégique.
De même aujourd’hui, j’ai souvent le vertige à penser à tous ces fils, ces commutateurs, disques et électrons qui sont la réalité du monde virtuel. Il y a quand même quelque chose de magique à penser que d’un clic je fais tourner un disque dur quelque part à des milliers de kilomètres d’ici. Par où passe ce clic ? Il doit y avoir des milliers de kilomètres de fils ou d’ondes, des milliards de nanomètres dans les entrailles des machines. Quelle serait la forme de cet itinéraire ? Cela me fascine d’autant plus que je n’y comprends rien qu’il y a là quelque chose qui m’échappe complètement, une boîte noire. Ce que je m’imagine est peut-être cent fois plus beau que le réel.
Mis la main cette semaine sur une histoire universelle de la pédagogie parue en 1883. Il est fascinant d’y lire les débats entre utilitaristes et humanistes. Entre têtes bien faites et l’assimilation concrète des choses. Même Montaigne y est : «Que nous sert-il d’avoir la panse pleine de viande, si elle ne se digère, si elle ne se transforme en nous, si elle si elle ne nous augmente et nous fortifie ?». Dans le jargon contemporain, on parlerait d’un éloge de l’approche socioconstructiviste. Montaigne est peut-être moins précis, mais plus clair.
Comme dirait Vialatte : les réformes scolaires datent de la plus haute Antiquité. Comme les écoles. Elles sont heureusement beaucoup plus nombreuses et de plus en plus universelles. Rendront-elles les humains meilleurs ?
Toute la question est là.