Il y a longtemps que je veux écrire là dessus, à force de lire, de vivre simplement aussi ici. C’est un sujet hénaurme. Difficile à cerner et à traiter. Dans le fond, la question est simple et pourtant fondamentale. Elle part d’une prémisse évidente a priori : il existe une culture québécoise ou plus largement francophone d’Amérique, originale, différente autant de sa source européenne que de ses voisines amériquaines.
C’est une question qui a fasciné bien des intellectuels québécois depuis les débuts. Les historiens, de François-Xavier Garneau à Gérard Bouchard, les sociologues, de Léon Gérin à Fernand Dumont, les géographes bien sûr entre Émile Miller, Raoul Blanchard, Serge Courville ou Gilles Ritchot. On tant dit là-dessus…
Il y a quelques jours je tombais via Phersu sur une liste de cent livres qui ont marqué le Canada. Choix cruel et l’auteur du Globe and Mail admet son ignorance de la production québécoise. J’ai été quand même surpris d’y voir Maria Chapdelaine. Louis Hémon est français mais son roman, mal accepté au début par les gens du Lac Saint-Jean, est l’un des plus lu dans nos écoles. Imaginez la moitié des étudiants d’un de mes groupes l’avaient lu, c’est dire, quand on sait leur désintérêt de la lecture.
Pour ma part, je l’ai lu la première fois à 12 ans dans une édition de la collection Nelson que m’avait donné ma grand-mère. Je l’ai relu par la suite à 26 ans quand je travaillais comme guide accompagnateur de groupes de français qui font le Canada en neuf jours en voyage organisé. Le guide qui m’avait montré le boulot m’avait refilé un de ses trucs tueurs : juste avant de les reconduire à l’aéroport, il leur faisait entendre un cassette où une belle voix reprenait l’une des pages du livres, le rêve de Maria.
Ce sera donc mon introduction à cette série que j’entame. C’est à fin du livre : la mère de Maria vient de mourir, son coureur des bois François Paradis est disparu et elle se demande si elle doit épouser son prétendant urbain et vivre aux États ou se marier à son voisin et rester sur la terre.
Clarence Gagnon (1933) illustration du roman Maria Chapdelaine
« Alors une troisième voix plus grande que les autres s'éleva dans le silence: la voix du pays de Québec, qui était à moitié un chant de femme et à moitié un sermon de prêtre.
Elle vint comme un son de cloche, comme la clameur auguste des orgues dans les églises, comme une complainte naïve et comme le cri perçant et prolongé par lequel les bûcherons s'appellent dans les bois. Car en vérité tout ce qui fait l'âme de la province tenait dans cette voix: la solennité chère du vieux culte, la douceur de la vieille langue jalousement gardée, la splendeur et la force barbare du pays neuf où une race ancienne a retrouvé son adolescence.
Elle disait:"Nous sommes venus il y a trois cents ans, et nous sommes restés...Ceux qui nous ont menés ici pourraient revenir parmi nous sans amertume et sans chagrin, car s'il est vrai que nous n'ayons guère appris, assurément nous n'avons rien oublié.
"Nous avions apporté d'outre-mer nos prières et nos chansons: elles sont toujours les mêmes. Nous avions apporté dans nos poitrines le coeur des hommes de notre pays, vaillant et vif, aussi prompt à la pitié qu'au rire, le coeur le plus humain de tous les coeurs humains: il n'a pas changé. Nous avons marqué un plan du continent nouveau, de Gaspé à Montréal, de Saint-Jean-d'Iberville à l'Ungava, en disant: Ici toutes les choses que nous avons apportées avec nous, notre culte, notre langue, nos vertus et jusqu'à nos faiblesses deviennent des choses sacrées, intangibles et qui devront demeurer jusqu'à la fin.
"Autour de nous des étrangers sont venus, qu'il nous plaît d'appeler des barbares; ils ont pris presque tout le pouvoir; ils ont acquis presque tout l'argent; mais au pays de Québec rien n'a changé. Rien ne changera, parce que nous sommes un témoignage. De nous-mêmes et de nos destinées, nous n'avons compris clairement que ce devoir-là: persister...nous maintenir. Et nous nous sommes maintenus, peut-être afin que dans plusieurs siècles encore le monde se tourne vers nous et dise: Ces gens sont d'une race qui ne sait pas mourir...Nous sommes un témoignage.
"C'est pourquoi il faut rester dans la province où nos pères sont restés, et vivre comme ils ont vécu, pour obéir au commandement inexprimé qui s'est formé dans leurs coeurs, qui a passé dans les nôtres et que nous devrons transmettre à de nombreux enfants: Au pays de Québec rien ne doit mourir et rien ne doit changer..." »
Louis Hémon (1911), Maria Chapdelaine, extrait du ch. XV.
Bien des choses ont changé depuis. Mais pas ce morceau d’âme je pense. Cela explique entre autres la résistance linguistique qui ressortait du sondage dont je parlais il y a quelques jours.
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5 commentaires:
Sujet particulièrement fascinant mais extrêmement difficile à traiter. Je ne connais pas ou peu d'âme aussi complexe que l'âme québécoise. En un sens, on pourrait presque la qualifier d'impure tant elle est tissée serrée voire même enchevêtrée. Qui donc pardieu a bien pu lui faire perdre son innocence et sa simplicité d'antan, telle celle de Maria Chapdelaine? Sont-ce les effets corrupteurs de la modernité ou les influences néfastes de nos voisins amerloques ou de l'ouest ? C'est à voir ...
salut Kam
Moi je pense que cette âme est métissée dès le départ par un mélange de provinciaux français qui se mélangent à des indiens d'abord, plus tard à des anglais, des écossais, des irlandais, des américains même... Ça finit par une civilisation rurale originale, celle de Maria Chapdelaine. La modernité l'a délayée et fait disparaître en surface, ce qui est universel. Mais l'âme ?
Et bienvenue dans le blogue :)
J'aimerais bien que les recherchistes de Marie-France Bazzo lisent ce papier....
Kesse t'en penses, blogueur du pays de Jean Charest? :-)
qu'ils le lisent! homme du pays du ti Mario ;-)
Je viens d'envoyer ton texte aux recherchistes de l'émission de Dame Bazzo. :)
Quant au ti-Mario, sa bio sera en vente dans les marchés aux Puces de St-Ouin ce printemps prochain...
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