1 mars 2008

Grandes et petites tribus.

Plus ça va, plus je commence à comprendre les coups de gueule de Victor Lévy Beaulieu. Bien sûr, son geste de brûler symboliquement sa Grande tribu relève un peu de l’esbroufe qui fait les bons lancements mais le geste n’en a pas moins une portée plus que symbolique, celle du désarroi de son auteur :

Près de cinquante ans après m’être mis par l’écriture à rêver et à agir, je constate que nous n’avons jamais été aussi loin de l’indépendance que nous le sommes actuellement : nos élites n’ont jamais été aussi veules, même dans les chartes qu’elles nous ont imposées et qui consacrent le seul droit que nous avons encore, celui d’être aliénés ou aliénables.

Fini l’unilinguisme de la Loi 101. Bienvenue au bilinguisme pour tous et, pourquoi pas, au multilinguisme. On ne sait pas apprendre à nos enfants ni à lire ni à écrire le français, mais c’est parce qu’on a besoin d’être immergés, non pas dans la langue de Molière, de Tremblay ou de Lepage, mais dans la mer anglophone.

Pour ces étranges mondialistes-là, on ne devrait même plus avoir de relations privilégiées avec la France. Voyez-vous, elle n’a plus rien d’un empire, tandis que les États-Unis en sont un. Bien sûr, on est contre les guerres que provoque l’empire le plus militaire qu’on ait eu à subir sur la planète, mais qu’importe ! C’est avec l’empire qu’on fait de l’argent.

Demain, on apprendra le mandarin et le cantonais pour les mêmes raisons, non pas pour mieux communiquer culturellement avec le monde comme le prétendent les mondialistes, mais pour mieux y faire de l’argent sale, comme c’est le cas avec le Canada qui, depuis le début de la guerre en Irak et en Afghanistan, est devenu avec les États-Unis, la Chine, la Grande-Bretagne, la Russie et la France, l’un des grands marchands d’armes sur la planète.

On voit le désastre que cela donne en Afrique et dans tous ces pays dits hypocritement en voie de développement : des massacres, des génocides, la mort de millions de personnes, le déplacement de millions d’autres, une pauvreté endémique et les sales maladies qui vont avec.

Il est difficile dans des médias qui, pour la plupart, appartiennent à des intérêts étrangers, de s’y faire entendre vraiment. Même quand Le Devoir promeut le bilinguisme pour tous, on ne peut que désespérer de notre avenir collectif.

Si nous-mêmes comme peuple nous tombons à pieds joints dans l’anglomanie, comment voulez-vous que le français puisse avoir une force d’attraction suffisante pour que les immigrants s’y adonnent véritablement ?

Tout cela pour vous dire que mon désarroi est grand aujourd’hui. Ce Québec français, pacifiste, soucieux des minorités souffrantes d’ailleurs, on est en train de nous l’enlever. Moi, je me sens orphelin ces jours-ci. Doublement orphelin. Orphelin sur ma terre natale, Trois-Pistoles, qui a refusé que je lui redonne ce qu’elle m’avait prêté à ma naissance : ce sens de la culture et son inscription dans la modernité.

Orphelin aussi parce qu’à Montréal on dit de moi que je représente le Québec ancien dont on ne veut plus, que je suis une manière d’ayatollah, sinon de taliban arriéré dont on souhaite la mort, comme l’ont écrit deux lecteurs du journal Le Devoir qui a publié la chose sans sourciller. Imaginez si on avait écrit cela d’un membre de la communauté juive ou d’un musulman ! Le Devoir aurait-il été aussi néolibéral ?

Ce n'est plus la faute à Papineau de VLB, repris par Vigile

Je ne suis pas aussi nationaliste que VLB. Je parle et lis l’anglais. Je n’ai rien contre l’amélioration de son enseignement au Québec. Mais je ne suis pas non plus dupe. Au Saguenay, on est quand même plus bilingue que dans n’importe quelle région comparable du Canada anglais. Pire encore, l’utopie du Canada bilingue à la Trudeau s’effrite. Par exemple, Statistique Canada constate un recul de la connaissance du français chez les jeunes anglophones hors Québec :

Figure 3 Taux de bilinguisme français–anglais chez les anglophones par groupes d’âge, Canada moins le Québec, 1996 à 2006

Description
Figure 3 Taux de bilinguisme français–anglais chez les  anglophones par groupes d’âge, Canada moins le Québec, 1996 à 2006

Et pourtant, je suis assez québécois bonasse pour trouver important de parler l’anglais alors que le reste du Canada se fout complètement du français. Je ne lui donne pas tort, l’espagnol ou le mandarin sont plus importants dans le monde. Mais qu’on ne me dise plus que ce pays est bilingue. Il ne l’a jamais été et ne le sera jamais. Pas plus que la reconnaissance du Québec comme nation par le parlement fédéral n’a de portée juridique. Au fédéral, quand il s’agit de faire des lois sur le cas québécois on vise plutôt la clarté et messieurs Dion et Harper deviennent grands amis.

***

On voudrait bien nous faire croire que l’indépendance du Québec est une question dépassée, qui n’est qu’un phantasme de vieux boomers qui, comme les soixante-huitards français, ont gardé la nostalgie des grands soirs. Ce n’est pas faux. Mais c’est avoir la mémoire un peu courte. L’idée de maintenir une culture francophone en Amérique traverse aussi tout le XIXe siècle et la première partie du XXe, parfois en repli mais aussi en combat de tous les instants. A cet égard, il est aussi constant que la mauvaise foi des anglophones, britanniques ou canadiens.

Et voilà que notre appartenance au Canada nous amène à faire la guerre en Afghanistan. À piétiner Kyoto pour permettre aux albertains de polluer toujours plus, tout en étant largement indemnisés par le fédéral même s’ils sont riches à craquer. À aider la pauvre industrie de l’automobile du Sud ontarien sans rien de semblable pour les régions forestières qui regardent leurs usines fermer une à une. À concentrer toujours plus de richesses dans les mains des financiers de Bay Street.

Et évidemment à devenir toujours plus bilingues, mais ça on le savait déjà:


C’est que, voyez-vous, il y a de ces petites tribus qui se prennent pour le territoire.

Et une grande qui le cherche encore.

4 commentaires:

Inukshuk a dit...

On dit que ces années-ci le sentiment indépendantiste est au plus bas. Je me demande bien s'il a vraiment déjà été si haut, ce fameux sentiment. Quand, au tournant des années '80, M. Lévesque nous a seulement demandé la chance de négocier quelque chose avec Ottawa, on s'est effoirés d'une manière lamentable. Même chose en '95, quand bien même le vote a été serré. À ces deux occasions, ceux qui pouvaient faire la différence, les boomers, se sont assis sur leur steak et ont préféré penser à leur pension et leurs avantages accumulés.

On ne mérite plus d'être indépendant. Les anglophones le savent et en profitent. Ces deux échecs nous ont fait bcp plus mal que les lendemains d'un référendum victorieux, cela, nous devrions en être conscients.

Je comprends VLB, sauf que je n'irais pas jusqu'à copier ceux qui ont procédé aux fameux autodafés allemands...

D'un autre côté, c'est bien représentatif de mon peuple, une communauté qui n'arrête pas de s'auto-saboter depuis la Conquête.

C'est Pierre Péloquin qui nous avait déjà clairement demandé si "nous n'étions pas tannés de mourir, bande de caves". Et c'est plus vrai que jamais.

Maphto a dit...

La situation au Québec est problématique. Les Québécois de souche n'ont plus assez d'enfants, l'anglais est omniprésent, une séparation du Canada entraînerait probablement une récession économique, etc. Les Québécois sont simplement prudents en demeurant dans la fédération.

Je pense que malgré tout ce qui va tout croche dans le Canada, les Québécois sont gagnants d'y rester sinon ils seraient partis depuis longtemps.

magoua a dit...

@Inukshuk : Je suis moins pessimiste que toi: depuis 40 ans l'appui à l'indépendance augmente et si les boomers s'assoient, ils seront moins massivement contre que les 65 et plus des deux référendum. Et j'ai une confiance infinie dans la bêtise canadienne surtout si Harper maintient le cap.

Mais faudra travailler fort la dessus parce que cela ne se mérite pas un pays, ça se fait.

@Maphto Bien sûr qu'ils sont prudents, sont même pissous et c'est pour ça qu'il y restent. Quant à être gagnants au Canada c'est un beau débat mettons que cela risque de l'être de moins en moins à long terme et que cela ne l'a jamais été pour le Québec.

Et ce n'est pas seulement une question de chiffres: au risque d'être naïf, je dirais qu'il y a aussi un idéal normal d'une nation qui veut contrôler son destin et se développer comme elle l'entend.

Sébastien Roy Dubois a dit...

À maphto,

L'économie n'est pas représentatif du tout. On oublie souvent que les Québécois ont été envahis. Nous avons été colonisés et ça laisse des traces dans notre esprit. J'entends toujours cette chanson :" Peuple à genou, attends ta délivrance." Mais il faudra attendre combien de temps et après qui? Que les Canado-britaniques nous là donnent?
Merci magoua pour ce beau blogue.