Moins douze, une petite neige cache le paysage que j’ai devant moi. Le cèdre du voisin, engoncé sous une coupole de neige ressemble à un gros cornet de crème glacée. Il faut dire que depuis quelques mois, je travaille de plus en plus au salon, le bureau étant parfois squatté par les colocs que j’héberge. Et j’en suis bien heureux. J’y découvre un panorama que les arbres cachent l’été. La vue du centre-ville qu’on a d’ici est une des plus belles qu’on puisse avoir de Sherbrooke. C’est mon jardin d’hiver. Je vous en promet une photo quand le temps se sera dégagé.
« Tant de mains pour transformer ce monde, et si peu de regards pour le contempler ! » La phrase est de Julien Gracq, mort peu avant Noël. Je l’ai trouvée dans le blogue de Pierre Assouline. Je m’en voulais un peu de ne pas saluer la mémoire d’un de mes écrivains préférés. Cette courte phrase en dit long sur son œuvre. Julien Gracq, sous le nom de Louis Poirier, était géographe de formation ; elle traduit bien un des aspects que j’aime le plus de ses écrits, cette capacité à décrire le monde extérieur, les moments de beauté ordinaires ou merveilleux qu’on trouve dans ses Écrits du grand chemin, ses Lettrines et ailleurs dans ses essais et romans. Une langue très belle, précise, classique, pourtant jamais prétentieuse ou pédante. Hors du temps et des modes.
Jamais rééditée en poche, son œuvre se découvre dans des livres à l’ancienne dont on doit découper les pages. Cette attitude vient d’un certain refus de ce qui est devenu l’industrie du livre. Fidèle à ses idées, il avait d’ailleurs refusé le Goncourt en 1951 pour son admirable Rivage des Syrtes, roman par lequel je l’ai découvert. Puis j’ai lu La forme d’une ville, évocation du Nantes de ses études secondaires. C’est un livre qu’on rêverait d’écrire sur la relation qu’on a avec une ville. Et curieusement, il rejoint là une dimension nouvelle de la géographie, celle de l’espace vécu, celle alchimie par laquelle l’espace froid et mesurable se transforme en lieux habités, en territoires hantés par les souvenirs, les rapports sociaux ou le simple quotidien de la vie. D’ailleurs Armand Frémont, un premiers géographes à avoir travaillé cet aspect dans La région, espace vécu s’est lui aussi amusé à refaire les explorations de Gracq dans Le Havre de ses origines. Une histoire plus tragique, puisque sa ville est disparue sous les bombardements en 1944.
Dans les commentaires du blogue d’Assouline un imbécile considère que la phrase qui ouvre ce texte est élitiste, voire méprisante. J’y vois au contraire une invitation à mieux regarder le monde, à le savourer. Et peut être aussi à penser un peu avant de le transformer.
P.S. Le même Assouline rend compte du livre sur Joyce de notre VLB national. Lire les commentaires est assez savoureux...
5 commentaires:
Merci Magoua pour ce portrait de Gracq. Il me faut mainentant me plonger dans un de ces livres. Mais lequel ?
J'ai hâte de voir une photo de ton jardin d'hiver.
Bonne question... Si tu aimes les romans plus classiques Le rivage des Syrtes est un bon début mais, pour ma part, j'aime bien ses petits textes regroupés dans Letrines, Carnets du grand chemin, c'est là que son sens du paysage est à son meilleur.
Je note les deux titres pour ma prochaine visite à la biblio. Merci.
Tiens, je ne connais pas cet auteur et je suis justement à la recherche d'un livre à lire! J'espère que je pourrai trouver sans trop de difficultés à Sherbrooke...
Ça n'étonnerait que les libraires de Sherbrooke en aient en stock. Un cas de commande en souhaitant que ce soit dans les entrepôts de Montréal, sinon 5-6 semaines d'attente au moins.
Mais il y a toujours la bibliothèque de l'université...
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