14 février 2006

Sauvages

Je viens de terminer la lecture de Sauvages de Louis Hamelin. Comme beaucoup, je l’ai découvert il y a 15 ans par La rage, qui a été une bouée à un dur moment de ma vie où j’étais salement débarqué d’un boulot que j’aimais beaucoup. Je l’ai dit ailleurs, cet homme avait écrit mon livre, ce qui m’épargnait une carrière littéraire. J’ai dévoré par la suite Cowboy et Betsi Larousse ou Le sommeil des gouffres. Moins aimé Le joueur de flûte ou les Spectres agités.

Au fil du temps, je l’ai connu par des amis communs au cours de soirées généralement assez arrosées. Un gars charmant, simple qui cache sous une certaine gêne une profonde connaissance de la chose littéraire et beaucoup d’humour. J’avais vaguement entendu parler que son prochain livre était plus proche de l’autofiction, ce qui m’étonnait un peu le croyant assez pudique.

Samedi dernier, j’entends qu’il parlera de son livre à la trop bordélique émission de radio de Cloutier. En entrevue, il parle d’une nouvelle qui décrit une soirée de l’an 2000 quelque part dans les Cantons de l’Est avec un personnage de vieux nationaliste. Ce qui fait tilt dans ma tête. Je n’y étais pas, mais bon à l’époque j’avais sous-loué la maison de campagne que j’habitais à cet ami commun qui l’avait refilée à Louis et ils avaient sauté là le millénaire avec blondes, progéniture et sans doute quelques bouteilles.

Je mets finalement la main sur son bouquin jeudi dernier, l’ouvre, le feuillette et voilà, page 104, une description précise de l’endroit où j’ai habité deux ans. Ça me fait tout drôle. Voir dans les mots d’un autre l’esprit d’un lieu qu’on a hanté. Une précision rare dans l’écriture, presque géographique. La nouvelle est découpée en moments, marqués par une heure précise. Parfois, je crois reconnaître les protagonistes, puis non, Louis a assez d’imagination (ou de prudence ?) pour transposer.

Tout le recueil forme ainsi un miroir éclaté dont les fragments reflètent chacun fidèlement quelque chose mais où il est impossible de reconstituer une image d’ensemble. Ainsi, chacune des nouvelles est un bout de territoire ou de vie, lui-même segmenté par plusieurs formes ou temps de narration. Pour relier un peu les nouvelles entre elles on croit voir un alter ego de l’auteur, changeant parfois de nom, absent ailleurs, central ici.

A priori, j’étais surpris qu’un auteur qui ne craint pas la brique se lance dans la nouvelle. J’en ai été ravi. Sans doute un peu parce que le monde dont il parle est proche du mien. Mais aussi parce que ce procédé permet de mettre en valeur la grande beauté et la souplesse de son écriture, la diversité de ses territoires et de ses errances. Bien sûr, Louis Hamelin aime le bois, les marginaux un peu décalés et ça revient souvent. Il revient même sur les traces de son Cowboy dont le pays est dévasté de coupes à blanc ; car sans appuyer sur le fait, il est un des rares auteurs que je connaisse à savoir parler des problèmes des régions éloignées avec exactitude.

La nouvelle qui clôt ce livre est sa plus personnelle. C’est aussi la plus émouvante et sans doute l’un des plus beaux textes que j’aie lu de lui. Comme tout son livre, elle lui permet de parler « De cette vie où la joie et la beauté ne se laissent deviner que pour mieux s’évanouir, toujours fantômes ».

Merci d’être vivant, Louis.

2 commentaires:

Anonyme a dit...

Longtemps attendu le prochain livre de Ti-Louis. Surprenant qu'il arrive avec de courts récits. Un livre très touchant et d'une structure bien métrisée.
Il a dit a Bazzo qu'il avait deux romans en chantier. Il nous replonge dans l'attente.

magoua a dit...

Salut Sébastien
En effet, j'écoutais Jean Fugère en faire un compte-rendu et il avait la même impression que moi, celle d'une page tournée vers quelque chose de nouveau comme si en passant par la nouvelle il s'ouvrait à quelque chose de neuf peut être plus éclaté. Ce sera un brique je pense. En tout cas sui bien content bour lui les critiques sont pas mal jusqu'ici et avec raison.
En te souhaitant que l'hiver gaspésien te soit agréable...