Depuis une semaine ou deux on entend parfois des cigales se plaindre, hier soir j’ai remarqué pour la première fois que les grillons chantaient la nuit, les verges d’ors commencent à fleurir et pour la première fois depuis longtemps, on endure une laine à l’heure de l’apéro. C’est le décours de l’été.
Belle journée à gosser au jardin et à poursuivre le chantier du déménagement de mon bureau vers une nouvelle pièce pour faire place à ma nièce de coloc. L’embêtant quand je fais ce genre d’opération c’est que j’y redécouvre des bouquins que j’avais oublié de lire ou de relire.
Ainsi j’ai passé quelques heures à pagayer sur l’Orénoque avec Alexandre de Humboldt. À traverser les Andes aussi. À conspuer l’esclavagisme et le sort des incas déchus tout en soupesant la possibilité que l’Amérique espagnole de l’époque devienne indépendante. Un grand homme ce Humboldt. Probablement un des derniers savants universels, à la fois géologue, arpenteur, physicien, astronome, botaniste, linguiste, ethnographe, pour tout dire un premier géographe scientifique ?
Je ne ferai pas sa biographie complète ici, on en trouvera une là. Mais c’est un homme étonnant pour l’époque. Chambellan et noble de Prusse il a passé une bonne partie de sa vie à Paris, sympathisant républicain, méfiant de Empire, déçu de la restauration navré du conservatisme prussien à son retour à Berlin. À 80 ans il sera des funérailles des révolutionnaires allemands de 1848, trop considérable savant pour être inquiété par le régime.
Heureuse époque où ses conférences publiques étaient aussi courues que les concerts de Madonna aujourd’hui. Il recevait des centaines de lettres chaque jour de savants, de curieux ou d’admirateurs. Redoutable capacité de travail pour mener tout ça de front. Célibataire toute sa vie, on croit maintenant savoir qu’il était homosexuel. Sa famille a détruit une bonne partie de sa correspondance trop personnelle, mais j’ai lu de lui une lettre enflammée adressée à son grand amour de jeunesse qui se mariait avec une dame. On connaît bien des exemples de gais dans l’histoire mais rares sont ceux qui n’étaient pas dans les arts et lettres. Un modèle de vie universel, en tout cas.
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À l'épicerie libanaise où j’achète mon pain, partout des affichettes remerciant les gens de bien vouloir donner à la croix rouge. Au dos d’une d’entre elles, quelqu’un avait écrit au proprio qu’on pensait à lui (il est retenu là bas). C’est un coin du monde où les pensées sont moins dangereuses que les prières, mais tout aussi inefficaces. On y sème et engraisse la haine comme s’il s’agissait de gagner un prix à une foire agricole. Méthodiquement. En négligeant qu’à la fin on crée des monstres.