17 octobre 2009

Une histoire de soumissions

Le reportage de Radio Canada sur la collusion et les gonflements de prix dans le secteur de la construction a au moins un mérite: celui de me faire oublier que la presse nord américaine a passé un après-midi complet à suivre un ballon vide, le sort d'un enfant de six ans étant plus inquiétant que celui d'un milliard d'êtres humains affamés.

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Ce bon coup de l'émission Enquête m'a ramené un soir d'été de la fin des années 70. Il était tard et je devais lire quand mon père arrive de bien mauvaise humeur.
- Salut p'pa ca va ?
- Ah parles-moi en pas on s'est encore faite framer sur des soumissions.

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Mon père était ingénieur municipal. Il avait mené une belle carrière au service de notre petite ville de banlieue, détournant une autoroute qui devait passer dans le fleuve et massacrer les berges, implantant les premières pistes cyclables de la région de Montréal parce qu'un enfant à vélo s'était fait frapper par une auto. Le genre à mettre poliment et fermement dehors les spéculateurs qui arrivaient dans son bureau avec des enveloppes pleines d'argent.

Il avait quitté abruptement cet emploi qu'il aimait parce qu'il était en désaccord profond avec les décisions du nouveau maire de l'époque. Étant connu dans son domaine il s'était recasé rapidement dans un bureau d'ingénieurs conseils de Laval. C'était loin de la Rive Sud, mais bon il préférait travailler dans une petite boîte et changer de milieu. Mal lui en avait pris.

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Mon père s'est servi un scotch et m'a expliqué ce que c'était, se faire framer des soumissions: les entrepreneurs qui répondent à un appel d'offres public s'entendent pour faire monter les prix bien au delà des prévisions et des coùts habituels. Le projet étant souvent vital, la municipalité n'a pas tellement le choix que d'avaler la couleuvre ou de revoir le projet, ce qui retarde énormément les choses. Et pour cette petite municipalité de la couronne Nord le million de surplus sur un contrat qui en valait trois faisait de la couleuvre un boa. J'avais rarement vu mon père aussi choqué.

Il n'était pas assez naïf pour ne pas connaître ces petits jeux et savait jouer les petits entrepreneurs contre le monopole des gros. Il connaissait bien les petites pratiques mafieuses de la Rive-Sud, notamment dans la gestion des déchets toxiques des raffineries de Montréal qui s'y retrouvaient dans des dépotoirs inadéquats. L'un d'eux avait contesté son expropriation jusqu'en Cour suprême. Mais, me disait-il, ce sont des amateurs comparé aux requins de Laval et de la Couronne Nord. Et de se demander s'il n'y avait pas une passe croche derrière tous les lampadaires de Laval.

On comprendra donc que je n'aie pas été étonné de cette histoire. Et à jaser avec des amis, à écouter la radio, on se rend compte que tout le monde en a une à conter. Fausser la concurrence pour faire plus de sous n'est pas nouveau.

Cela s'appelle le capitalisme.

Et à coté des banquiers de Wall Street, les mafieux de la construction sont des amateurs.

1 commentaire:

devis a dit...

Merci pour cet article