10 février 2008

Pauvre(s) réforme(s)

Voilà que nos querelles locales rebondissent en France. On s’inquiète dans la République des lettres de l’éventuelle possibilité de peut-être un jour ne plus étudier les classiques français au collégial, au profit de la littérature québécoise. Le lapin a été soulevé dans La Presse par Folch-Ribas et transformé en épouvantail par Lysiane Gagnon (curieux cas de mimétisme ?). Va sans dire que cette consultation n’ira nulle part puisque la chicane existe depuis trop longtemps au collégial pour qu’on change le compromis actuel.

Et tiens, copions le commentaire que j’y ai laissé :
    « Sur la forme, cette histoire est assez drôle. Citer Folch-Ribas, écrivain mineur, catalan et perpétuel exilé parisien ou Lysiane Gagnon, antinationaliste et ultrafédéraliste notoire me fait sourire. Sur le fond, c’est un vieux débat: faut-il privilégier la littérature locale vivante ou une littérature incontournable mais bien ancienne et loin du quotidien des jeunes ? Le compromis est ancien dans les cégeps, on fait un peu des deux et ce n’est pas cette enquête qui y changera quelque chose.

    Ce qui me hérisse c’est le préjugé français selon lequel toute littérature hors hexagone ne peut être que régionale ou provinciale. Il existe une littérature nationale au Québec, elle est forcément différente de celle de la France. Les référents ne sont pas les mêmes, les réalités qu’elle décrit aussi (On est pas sur le même continent, le saviez-vous?) Et la langue a évolué différemment depuis 300 ans donc les écrivains choisissent entre le français standard ou l’accent local, selon leur sensibilité ou ce dont ils parlent.

    En ce sens, la référence à la France est à la fois incontournable et inutile. Un auteur américain n’écrit pas la même langue qu’un britannique et il ne viendrait pas à l’esprit ni à l’un ni à l’autre de se voir régionaliste ou référence incontournable. L’important est qu’ils se lisent les uns les autres. Et savez-vous que jusqu’à ces dernières années il y avait beaucoup plus de centres universitaires d’études québécoises aux États-Unis ou en Allemagne qu’en France ?Question de langue ?

    P.S. On écrit Tabarnak, et je doute que l’équivalent sémantique aurait fait un titre de journal au Québec. »
    Notons que M. Assouline a corrigé son titre depuis. (il avait écrit tabernacle!)

    ***

    Autre débat : la réforme scolaire. Tout d’abord ne pas confondre : la réforme de l’orthographe n’a aucun rapport. On ne fait qu’appliquer les quelques modifications décidées il y a au moins dix ans (accents circonflexes inutiles sur les «i» les «u» et autres babioles). Personnellement, j’irais bien plus loin, mais là n’est pas mon propos.

    On oublie toujours de se demander d’où vient cette réforme. Du constat d’un taux de décrochage alarmant au secondaire et ailleurs. Normal donc de réformer l’enseignement. Mais si ça ressemble de plus en plus à un cafouillage c’est que les moyens n’ont pas suivis et que les ministres successifs naviguent à vue, au gré des tempêtes médiatiques soulevées par des journalistes ou commentateurs ignares, suffisants et démagogiques.

    Les approches nouvelles proposées par cette réforme s’ajoutent en fait aux pratiques existantes. Tout simplement parce que faire du par cœur c’est bien, c’est facile à mesurer et à chiffrer en bulletins mais cela ne suffit pas. Encore faut-il que les élèves apprennent. Et cela ne marche pas. Je viens de passer deux semaines à apprendre à des cégépiens des notions qu’ils ont vu au moins deux fois au secondaire mais dont ils ne se souviennent plus, faute de les avoir appliquées. C'est-à-dire d’avoir construit des savoirs autour de leurs connaissances. D’où le mot constructivisme qui fait tant rire.

    Je suis loin d’être fanatique des verbiages pédagogiques et je trouve qu’il y a là (comme ailleurs) un certain nombre de fumistes. Cela dit, j’en ai aussi contre les imbéciles que la notion de compétences transversales fait sourire. C’est pourtant simple : s’agit de décloisonner les matières pour que tout s’intègre. Parce que écrire une recherche en géographie, c’est un exercice de français. Et de mathématique. Que ça demande des connaissances en histoire. Donc une compétence (savoir écrire correctement) transversale parce qu’elle ne se limite pas à une seule discipline scolaire.

    Si cette réforme semble devenir un immense gâchis, c’est qu’elle heurte les préjugés des médiatiques souvent scolarisés dans des collèges élitistes, qu’elle se fait dans un réseau scolaire où bureaucraties syndicales et patronales se sont fossilisées dans des virgules de conventions, sans oublier que, déficit zéro oblige, on a sous investi en éducation autant sinon plus que partout ailleurs au Québec. Sans compter les classes surchargées d'enfants rois dont les parents clients refusent de se mêler d'éducation puisqu'ils payent assez d'impôts pour ça.

    Et peut être aussi que sous le problème du décochage il y a peut-être quelque chose de plus simple et de plus profond.

    Genre préférer travailler au dépanneur pour se payer un char plutôt que d’étudier.

    On voit ça au cégep.

    Un problème qui est bien de valeur(s)

    3 commentaires:

    Inukshuk a dit...

    Une chose incontournable quand vient le temps d'évaluer le cursus littéraire en éducation au Québec, c'est de bien déterminer l'esprit culturel qui nous anime.

    Si nous nous servons du français comme mode d'expression, il faut par ailleurs comprendre que nous pensons comme des Américains et que nous nous comportons en partie comme des Anglais. Nos cours littéraires devaient refléter cette réalité. Les Québécois sont bcp plus pratico-pratiques que les Français, aussi la littérature nationale (de même que celle de nos voisins américains et canadien-anglais) devrait être notre source principale. Bien entendu, l'un n'exclut pas l'autre.

    Toutefois, on dirait que ce qui influencent les décideurs du Ministère est davantage relié à du lobbying d'éditeurs et d'écrivains. En partie ont-ils raison, tenant compte des difficultés de percer le marché francophone d'Europe.

    Au sujet des difficultés apparentes de veiller au financement adéquat de l'Éducation, je te suggère de lire un excellent essai de Claude Vaillancourt portant sur le désinvestissement de l'État dans les programmes de services. Il s'intitule "Mainmise sur les services" (coll Écosociété).

    magoua a dit...

    Merci du conseil de lecture, Suis d'accord avec toi le cadre doit être celui de la culture, pas celui des industries (!) culturelles. Mais je pense aussi qu'on doit avoir le souci de faire vivre nos écrivains d'éveiller si possible un goût pour ceux qui nous disent. Et ce n'est pas facile de simplement venir à bout de la force d'inertie d'un ado de 18 ans qui ne s'y intéresse pas et n'a pas l'habitude de lire.

    Surtout quand le temps est à la grammaire et à la dictée mur à mur.

    Dans le lot d'inepties pédagogiques que j'ai lu sur la réforme il y avait quand même cette grande et simple vérité: le prof est un passeur de culture.

    Et quand on en réveille une couple de plus par groupe on en est bien content.

    Et je n'enseigne même pas le français.

    Et je n'enseigne

    Serge-André Guay a dit...

    Bonjour,

    J'ai rassemblé sur une page Internet de notre webzine tous les textes utiles pour comprendre et suivre le débat au sujet de l'enseignement de la littérature au CEGEP. Il y a débat parce que l'Union des écrivaines et des écrivains québécois et l'Association nationale des éditeurs de livres demandent que la littérature enseignée dans les collèges soit uniquement québécoise.

    Lien vers le dossier :

    http://manuscritdepot.com/internet-litteraire/dossier.03.htm



    Serge-André Guay, président éditeur

    Fondation littéraire Fleur de Lys