15 janvier 2010

Un peu de géographie

Jean-François Lisée est partout. Il écrit et dirige des livres intéressants, a son blogue, dirige le Cérium, ce qui lui permet de faire une émission de radio hebdomadaire de bon calibre que j'aime bien écouter de temps en temps sur le web.

Cette semaine, il invitait le géographe Rodolphe de Koninck à parler d'un bouquin au titre inquiétant: The end of food. Moi qui pensait qu'il n'y avait que Bazzo pour inviter des géographes.

Le géographe est une bête qu'on invite pas tellement dans les médias. À un colloque de géographes où on se plaignait du peu de visibilité de notre noble profession je me souviens avoir entendu le même de Koninck dire que dans le fond c'est parce que nous sommes trop dangereux.

Dangereux les géographes ? Probablement oui. C'est que à force d'essayer de faire des liens par exemple entre le milieu naturel et ce qu'en fait l'humain on doit à la fois intégrer plusieurs points de vue et prendre un certain recul. Un exemple ? Dans son entrevue avec Lisée, De Koninck parle des changements climatiques comme d'un épiphénomène, symptôme d'un problème plus grave : celui de la détérioration des écosystèmes. C'est nettement plus général et plus profond. Parce que sur les questions environnementales il y a la saveur du mois: BPC, couche d'ozone, climat, amiante, bébés phoques, développement durable ou pénurie de pétrole dont on parle et les questions de fond qu'on oublie.

Au fond, le problème n'est rien d'autre que celui de la relation que les humains entretiennent avec leur écosystème au sens large, leur milieu naturel mais aussi social. Pour le géographe, contrairement au biologiste, si l'humain est une composante du milieu naturel, il est aussi à même de le transformer et de le dominer. Il peut en faire les plus beaux paysages du monde comme les pires. Force est de constater qu'il fait plus de boulevards Tachereau que de vieux Québec; à Sherbrooke la rue King est plus longue que la rue Dufferin.

Dans un monde où l'on fait tout pour nous distraire du lieu où l'on vit, on comprend donc que le regard du géographe nuit au commerce. Il me souvient d'avoir fait une excursion de géographie post-moderne autour du Carrefour de l'Estrie pour montrer comment l'espace y est savamment aménagé pour vous perdre et donc vous faire circuler devant un maximum de magasins. On y avait également vu comment le bungalow et son terrain reflètent les valeurs des habitants mais surtout celles du mode consommation dominant au moment de leur construction. Je ne crois pas avoir instruit de bons consommateurs.

Tout ça pour dire que le géographe essaie de comprendre le monde comme il le voit. Pas comme il devrait être. Il imagine parfois ce qu'il pourrait être, mais d'autres sont payés pour le construire. Eux en tirent de grands profits. Rarement la planète. Le géographe constate.

Il croit qu'on pourrait faire mieux.

***

Il y a une légende urbaine chez les géographes québécois. Dans les années 1940, Saint-Exupéry a dessiné en partie Le petit prince à Québec, chez les parents de Rodolphe de Koninck qui aurait servi de modèle. Dans ce livre, Saint-Ex fait une erreur sur son géographe. Oui, il y en a qui ne font que du bureau (ou sont devant leurs ordis), mais certains, de moins en moins, sont sur le terrain. Ils ne consignent pas tout dans leurs publications.

L'essentiel est dans leurs yeux.

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