Ce soir je suis paresseux. Un ami poète du Deuxième rang de l'Avenir a laissé cet été un texte dans ma machine, une lettre ouverte au Devoir. Elle n'a pas été publiée. Je lui ai demandé si je pouvais la coller dans mon blogue, il m'a dit oui. Or donc je colle:
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Du fédéralisme transcendantal à la franchise probable.
Questionnaire adressé à Stéphane Dion, actuel aspirant au poste de Premier du Canada de même qu’à l’Honorable Benoît Pelletier, actuel ministre des Affaires intergouvernementales de la province de Québec.
Le 1er juillet dernier dans le quotidien Le Devoir, le député Stéphane Dion raconte pourquoi rien, absolument rien ne justifie la sécession d’une province canadienne de l’État fédéral. Il dit que c’est la franchise qui l’oblige à cette affirmation. Il en fait le pari.
Pas plus tard que le lendemain c’est Benoît Pelletier qui déclare dans La Presse que l’indépendance politique d’une nation n’est pas la meilleure forme d’autonomie possible et que le gouvernement fédéral demeure tout un tremplin pour l’affirmation du fait français en Amérique. Un tremplin pour, c’est son langage ministériel.
Le fédéral dans un journal souverainiste et le provincial dans un journal fédéraliste. L’autorité s’impose catégoriquement chez l’indigène; en contrepartie, le né natif a le droit d’exprimer poliment une certaine perception politique de la liberté de province subordonnée. Le lendemain, bien sûr.
Passons tout de suite au questionnaire afin d’évaluer des connaissances.
Question 1. M. Dion, vous utilisez le terme fédération. Je croyais naïvement que le Canada était une confédération. Pourriez-vous préciser à quel moment et par quel processus spécifique le fédératif s’est substitué au confédéral ? Soyez clair, franc et surtout précis.
Q. 2. M. Pelletier, vous reconnaissez l’existence de la nation québécoise. Pourriez-vous nous expliquer à quel titre l’existence formelle de cette nation respecte le principe fondamental du fédéralisme canadien : l’égalité des provinces entre elles ? Par quel raisonnement peut-on aboutir à l’affirmation selon laquelle la nation québécoise serait l’égal juridique, politique, sociologique de la province du Prince-Edward Island ?
( Évitez le truc de la société distincte et gardons notre sérieux par déférence envers le lectorat.)
Q. 3. M. Dion, vous affirmez modestement : « Il n’y a qu’une seule façon de bien servir l’unité canadienne : jouer la franchise plutôt que la manipulation. » Tantôt vous aimiez faire le pari de la franchise, là vous la jouez. Ailleurs dans votre texte, et il faut vraiment citer : « C’est probablement la première fois dans l’histoire de l’humanité que des adultes parlent de séparer un pays en raison d’un surplus ! Voilà, il me semble, ce que la franchise commande de dire. »
a) En tant qu’aspirant au Premier du Federal, trouvez-vous que, niveau franchise, le scandale des commandites a bien servi l’unité canadienne et le Parti Libéral du Canada?
b) Quel lien sémantique établissez-vous entre ce que la franchise vous « commande » et l’adverbe « probablement » ? Comment peut-on se faire commander une probabilité ? Par les paris ? Par le jeu ? Clarifiez en quelques lignes, parce que là, ça sent un petit peu l’astuce du hasard.
Q. 4. M. Pelletier, vous jugez que l’accession d’une nation à sa souveraineté est une idée dépassée.
a) Voulez-vous dire par là que cette idée a déjà été naturelle, nécessaire, normale, mais que la nouvelle mode serait aux provincialismes ? Oui ou non ? Si oui, comment expliquez-vous qu’à l’ONU, en une quarantaine d’années, le nombre d’États souverains qui composent l’organisation soit passé de 50 à 192 ? Gardez votre naturel et répondez normalement.
Vous dites encore : « Dans le monde, un grand nombre de nations, comme les nations catalane et écossaise, choisissent d’exister et de s’épanouir au sein d’États (…) qui les englobent et les transcendent. »
b) Si je vous ai bien compris, vous êtes en train de dire que la nation canadienne transcende la québécoise et que cette bienfaitrice transcendance justifierait la nécessité d’un État fédéral souverain démodé alors que le Québec n’aurait pas besoin pantoute de se transcender lui-même dans l’honneur et l’enthousiasme. Est-ce que j’ai bien compris le sens concret de votre conceptuel englobant transcendantal, monsieur le Ministre ?
Q. 5. Mon vibrant démocrate monsieur Dion, pour quelles raisons claires le Canada a-t-il senti l’urgent besoin d’accéder au statut d’État indépendant en se séparant de l’Angleterre tout en exhibant la face de Sa Souveraine Majesté sur les billets de vingt piastres ? Pourquoi tourner le dos à ce grand ensemble que représentait l’Empire britannique envié du monde entier ? Question subsidiaire : donnez la date d’accession à l’indépendance de la Monarchie constitutionnelle du Canada. Une date se compose de deux chiffres et d’un mot.
Q.6. Monsieur le ministre Pelletier, je vous le demande : sur le plan de la représentation internationale, les citoyens de la Nation française sont-ils plus libres, plus naturels, plus normaux que les citoyens de la Nation québécoise dont la nationalité n’apparaît pas sur le passeport fédéral ? Donnez-moi une réponse satisfaisante en toute mutualité fédérative pas rien qu’un peu.
Q.7. Monsieur Stéphane Dion, vous avez écrit, signé et rendu public ce qui suit : « Mais je ne dirai jamais que ceux qui trouvent que la péréquation actuelle est déjà suffisamment généreuse font le jeu des indépendantistes. Voilà le type de rhétorique absurde qu’il nous faut bannir de nos débats politiques. »
Monsieur le futur Premier canadien, dites-moi un truc. Comment allez-vous vous y prendre pour que ce bannissement soit respecté à la lettre et de manière définitive ? À quel type de punition pensez-vous dans les cas de transgression de cet anathème rhétorique ?
Q. 8. Monsieur le ministre libéral Pelletier, vous affirmez le plus sérieusement du monde : « Il n’y a pas de pays normaux; il n’y a que des régimes politiques plus ou moins appropriés ou souhaitables selon les circonstances. »
Ne trouvez-vous pas que votre façon de caractériser les pays s’appliquerait plutôt à des Conseils d’administration ? Quelques lignes là-dessus.
Autre chose. Comme vous évaluez que c’est le régime fédéral canadien qui a permis l’épanouissement des ressortissants de la nation québécoise, et que donc vous êtes d’abord canadien avant d’être qui que ce soit d’autre, pourquoi ne dites-vous pas dans votre texte que vous êtes normalement, naturellement et librement un simple canadien-français d’une province de l’est du Canada ? Si je vous pose la question c’est que personne au monde ne reconnaît la nationalité québécoise à l’exception de l’Assemblée nationale, elle-même provincialisée grâce à la Loi sur la clarté de votre fédératif collègue Stéphane Dion et de son copain post-référendaire Stephen Harper.
Q.9. Convenons du caractère tordu de la prochaine interro. Vivons dangereusement. Parions. Jouons. Commandons. Soyons probables.
J’ai entendu le citoyen Harper lancer à l’occasion des célébrations du Canada Day : « God bless Canada. » Voilà son voeu de clôture d’une allocution fédérative. Cet Honorable Harper emprunta cette formule aux États-Unis dont, soit dit en passant, le régime politique présidentiel ne varie pas selon les circonstances et-ou les conjonctures internationales. À la suite de son discours, probablement que son Éminence est allé vanter les mérites d’un militarisme qui va coûter pas loin de quatre milliards de dollars au Québec.
Voici donc la question. Si un Québec hypothétiquement affranchi de l’Englobant fédéral s’était déclaré pacifiste, n’aurait-il pas choisi, en bonne intelligence du bien-être commun, d’investir cette somme dans les corridors des salles d’Urgence où chaque jour saignent des milliers d’innocents petits enfants en larmes ?
Q. 10. On dit que le Canada ne survivrait pas à l’éclatement tragique que provoquerait sans aucune raison ces hypocrites malveillants pas francs et astucieux de séparatistes régionaux plaignards ethnocentristes. Question : le Canada aurait-tu don’ besoin du Québec pour maintenir son apparence, son identité, ses revenus, sa justification idéologique face aux gros étatsuniens ? Question : combien le Federal est-il disposé à dépenser afin d’assurer ce service de maintenance ? Disons : le Québec pourrait offrir ce service au Canada, comme il le fait avec tant de bienveillance dans le secteur hydroélectrique, sauf que là non plus, ce ne serait pas gratos. Selon Bernard Landry, si le Canada tient à survivre comme entité politique, ça lui coûterait cinquante millions de dollars chaque jeudi soir à cinq heures. Selon l’ex-Premier ministre de la très distinctive Nation québécoise, ce serait le prix-plancher de la perfusion du fédéralisme transcendantal.
Ce calcul, véristes coreligionnaires Dion et Pelletier, correspondent-ils à vos péréquations personnelles ?
C’est là-dessus que - tristesse légitime - l’examen prend fin.
Eh Oh, non mais ! L’un d’eux fait dans le dogme de l’unitarisme inamovible par décret doublement identitaire, ça vous le saviez déjà étant donné votre compétence transversale; l’autre se full fiche des Constitutions nationales en versant dans le conjoncturel circonstanciel littéralement transcendé. Fiou. Laissons les uns s’adonner à des jeux et faire leurs paris; les autres se servir de tremplins pour rebondir en français dans leur magnificence provinciale vers le Royaume ontologique des Cieux constitutionnels canayens. Oupelail, pas sorti du bois, groupe !
J’attends, dans la patience courbée des ploucs de villages, les preuves de la proverbiale bonne foi des élus supérieurs. Autrement dit, je leur donne par pure magnanimité une chance de se faire bien voir de leurs commettants fédérés et autres commissionnaires de provinces.
Yves Boisvert, écriveur contribuable.