C’est avec un drôle de sentiment que je m’en allais à la salle 9 de la Maison du cinéma voir LE film. Déjà que le lieu m’est étranger, je vois un film aux dix ans en moyenne, c’était encore plus paradoxal d’y aller pour une œuvre consacrée à des gens connus et côtoyés depuis 20 ou 30 ans. Étreints les deux vrais personnages du film, entrevus les comédiens qui les interprètent, je prends mon siège dûment réservé et identifié et j’attends le film en saluant les gens que je connais, car Sherbrooke est un grand village.
Fade out, le film débute. Que les images sont belles ! Le poète habite un immeuble en voie de transformation où l’on voit affiché ce slogan : Habitat Nelligan… vivre la poésie urbaine. Ironie toute boisvertienne, puisqu’il en sera expulsé. Au début, un petit malaise : non, Yves n’était pas tout à fait ceci, ni cela, mais, et tout le génie du film est là, on se rend compte que ça n’a aucune importance. Martin Dubreuil a une barbe que je n’ai jamais vue chez Boisvert et Céline Bonnier est aussi blonde que Dyane est noire.
Et alors ?
Alors rien.
Ou plutôt tout est là. Le film de Yan Giroux transcende et sublime le banal biographique. Dubreuil n’est pas Boisvert, il en est la quintessence, une sorte de poète absolu qui, mieux qu’un long discours, démontre ce que c’est que de se donner à son art. Et comme on est au cinéma, c’est ce qu’on voit. Tout le film va en ce sens.
Par exemple, il arrive quelques fois que la caméra quitte la trame narrative du film pour explorer des lieux étranges, des portions de ciel ou de rivière. Une poésie visuelle, en quelque sorte. C’est précisément ce qui se passait lorsque je marchais avec Yves à explorer les territoires du comte d’Hydro au moment où il préparait La Pensée niaiseuse. Il fallait l’entendre décrire toute la sémantique des entrelacs de fils électriques qui ornent nos paysages. Pure poésie.
Voilà précisément pourquoi ce film m’a ému. J’y ai retrouvé mon ami transfiguré par tout ce que le cinéma comporte de moyens mis au service de l’évocation de ce qu’il a été.
J’en remercie toute l’équipe.
Et courez voir ce très beau film; cernés par les monstres hollywoodiens, les films québécois ont une courte espérance de vie en salles.