J’ai devant moi une pile de livres de l’ami en allé. Yves
Boisvert était poète. Il laisse dans le deuil outre sa blonde, sa famille et
ses amis quelques boites de livres qui traînent dans les entrepôts. Parfois
aussi dans les rayonnages de bibliothèques publiques ou privées.
Je ne saurais juger de son œuvre. Des universitaires
patentés la disséqueront selon les modes littéraires du jour. On peut aussi
souhaiter que de jeunes poètes la lisent au hasard des circonstances.
Mais on ne pourra plus l’entendre.
J’ose le gros cliché : Yves était homme de parole(s).
Je l’ai connu il y a vingt ans, alors qu’il prêtait sa grande voix à la poésie
québécoise contemporaine, cette émission de radio (communautaire) qu’il
enregistrait à CFLX. Pour vous dire le genre, ça commençait par la grosse
guitare sale d’Ayoye d’Offenbach. Fade
out avant les paroles. Le contenu était simple : Yves lisait des
extraits de parutions récentes en poésie, trois minutes maximum (comme au
festival) ensuite, musique. Du
Garbarek souvent. Il terminait en rappelant les titres lus et concluait en une
phrase ou deux qui fessaient dans le dash de l’actualité ambiante. Mon rôle
là-dedans était simplement de faire le technicien. Il m’impressionnait, c’est
rare de voir un vrai poète et en plus ses émissions étaient impeccablement
préparées, chose rare en radio communautaire. Une fois les émissions
enregistrées on descendait au Magog prendre une grosse bière ou deux. Je ne me
souviens plus si c’est au hasard de ces soirées qu’il rencontrera sa complice
et amie Dyane qui était une habituée de ce bar où on allait tous les soirs...
Il y a eu beaucoup d’autres bières depuis. Des bouteilles de
vin aussi. Mais aussi de grandes conversations. Je me souviens de longues
marches avec lui à observer et disséquer les fils INVISIBLES dont Monsieur le
comte Diderot emmaillote le Québec.
Mille autres fois à
l’écouter vitupérer contre les fédéralistes, les bureaucrates, banquiers, toute
cette engeance d’administrateurs patentés et autres frimeurs émmebiéisés..
Quel conteur aussi, une verve rurale dans un vocabulaire qui
n’admettait pas l’à peu près. Je
me souviens d’un épisode d’une série radio que réalisait et animait mon ami Daniel
Desroches. On faisait des tours de machines dans les cantons de l’Est et j’y
racontais les territoires traversés. On avait eu l’idée d’inviter Yves en se
dirigeant vers l’Avenir, son village natal. Au hasard du chemin, on s’arrête
près d’un étang à grenouilles. Boisvert part en chasse. Le résultat fut
concluant :
Yves Boisvert, chasseur de grenouilles; remarquez la mimique très boisvertienne. La grenouille a repris sa liberté par après. (photo: Patricia Godbout communiquée par Daniel Desroches) |
Tout le reste de cette émission a été magique, de l’histoire
de Jean-Baptiste-Éric Dorion, l’autre enfant terrible de l’Avenir, racontée en l’église même, jusqu’au
concert de vraies cloches à vraies vaches en finale.
Si Yves parlait beaucoup, il écoutait aussi. Sa poésie se
nourrissait autant du monde des tavernes que de l’astrophysique. Boulimique
lecteur jusqu’à la fin, le monde le nourrissait parce qu'il est ainsi fait qu’il faut le
défaire pour qu’il se tienne debout. Curieux de tout, je ne me suis pas gêné
pour lui faire partager ma passion toute géographique des territoires. Lui
savait les rendre en mots.
Yves était un ami. J’ai peu d’amis et je ne les vois que
trop rarement. Ils existent toujours de par ce qu’ils ont changé en moi en
mieux. De Yves, je retiens la verve, le sens du mot qui porte et qui change
l’auditeur. Très utile en salle de classe. Il en avait fait la démonstration
éclatante en octobre 2001 alors qu’il était venu lire en classe Bang, son poème
post 11 septembre. Je me souviens de la stupeur des étudiants à la fin et de
l’ovation qui a suivi. Je me souviens aussi de ce même poème lu en duo avec
l’Amérique de Jean-Paul Daoust dans cet espace éphémère que Dyane avait offert
aux poètes et artistes. Inoubliable. Insubventionnable, évidemment.
Il y a mille autres facettes au personnage. Le colérique
qui savait aussi être d’une douceur et d’une gentillesse rares. Le patriote, bien sûr. Peut-on aimer tant sa langue et ne pas
lui offrir un pays à habiter? Cet homme a su se tenir debout toute sa vie et
même devant la mort, avec le courage et le soutien de sa Dyane. Je connais une
province qui devrait se lever avant de subir le même sort.
En tout cas, merci, Yves, de m’avoir rendu meilleur.