29 mars 2008

Les temps modernes

Il fait soleil, mais le fond de l’air est froid. Le froid sec et bleu de l’hiver avec un petit vent qui balaie toute chaleur qui pourrait s’accumuler. Pourtant, les bancs de neige de la rue fondent un peu, comme s’ils étaient gênés d’être encore là si tard. Celui qui couvre la plate-bande d’en avant a assez reculé pour laisser voir la terre. Et ce matin, au pied de la petite falaise blanche, quelques pointes de crocus.
Ça achève.

***

Et lisez le Foglia d’aujourd’hui. Plongée dans le monde ordinaire et à partir de la mort d’une usine, celle d’une époque où l’Humain restait au dessus des machines. Les rouages des temps modernes qui écraboullaient Charlot sont aujourd’hui des impulsions électroniques qui changent les bilans financiers qui commandent des rationalisations pour le grand bien des actionnaires. Dont nous sommes par toutes les Caisses de Dépôt du Monde.

Les sciences administratives sont la forme la plus dévoyée des sciences humaines.

C’est d’ailleurs pour ça qu’elles sont bêtement administratives.

Et ne tuent que ceux qui y croient.

19 mars 2008

La chanteuse

Ginette Reno est l'archétype de la chanteuse québécoise. À cette exception près qu'elle est une vraie chanteuse. Probablement la seule à devoir chanter à 3 pouces du micro parce qu'elle a de la voix, elle. C'est une chanteuse soul. Une négresse blanche d'Amérique.
Ce soir là, elle a été le Québec.


En 1975, une certaine Saint-Jean.

16 mars 2008

Ça sent très mauvais

Passé une fin de semaine grippé à vedger sur internet. Pour me rendre compte que je ne suis pas le seul grippé. Je ne suis pas économiste, mais à lire le blogue de Paul Krugman du New York Times et à fréquenter quelques autres sites d'économistes, je deviens un peu parano.

La palme de l'alarmisme est ici. Et ça craint.

M'est d'avis que les prochaines années ne seront pas drôles.

Surtout qu'on veut nous rassurer.

4 mars 2008

L'accent québécois enfin expliqué

Dans Le Soleil d'aujourd'hui enfin une confirmation de ce que j'ai toujours pensé:
«Les Français disent au départ que l’accent des Canadiens est identique à celui de Paris, puis, au XIXe siècle, ils disent qu’il est tout à fait différent. Alors, comment l’expliquer? Ce ne sont pas les Canadiens qui avaient changé leur façon de parler, mais bien les Parisiens. Donc, il fallait chercher comment eux avaient changé», (...)

Pendant longtemps, deux modèles de diction ont coexisté dans la Ville lumière, souligne M. Gendron : le «grand usage», qui était la langue savante des discours publics, employée au Parlement de Paris, dans les cours de justice, par la bourgeoisie instruite et au théâtre; et le «bel usage», utilisé en privé dans les salons de la noblesse. Sa prononciation, plus relâchée que celle du grand usage, devait paraître «naturelle», c’est-à-dire ni vulgaire, ni affectée.

Elle avait tendance à tronquer certaines lettres et faisait rager beaucoup de grammairiens français. Le bel usage prononçait ainsi, entre bien d’autres : «leux valets», «sus la table», «quéqu’un», «velimeux», «des habits neus», «ostiner», «neyer» (noyer), «netteyer», «frèt», etc.

«On dit dans le discours familier qu’il fait “grand fraid” (…) mais en preschant, en plaidant, en haranguant, en déclamant, je dirois “le froid”», écrivait par exemple le grammairien français Gilles Ménage en 1672. (...)

Mais la haute société parisienne, qui a longtemps flotté entre les deux accents, bascule totalement à la révolution de 1789. Le roi de France, ou le «rouè», comme il disait peut-être, est décapité. L’aristocratie, dont le prestige donnait jusque-là préséance au bel usage, fuit la France (quand elle le peut), ce qui laisse toute la place à la bourgeoisie et à «sa» manière de parler. La révolution, écrit M. Gendron, «sera en même temps politique et linguistique. (…) L’autorité et le prestige acquis par les gens de lettres vont leur conférer le pouvoir d’influencer la langue, en devenant le modèle à imiter».
Ce qui prouve que:
1) Le bobo parisien n'est pas une invention récente.
2) Les Québécois ont un parler aristocratique, ce qui est normal puisque nous sommes toujours en monarchie.

Merci à Gérald de m'avoir signalé l'article

Note: le monsieur Gendron (Jean-Denis) dont il est question dans l'article est un professeur de phonétique retraité de l'Université Laval qui vient de publier D’où vient l’accent des Québécois? Et celui des Parisiens? aux Presses de l'Université Laval

1 mars 2008

Grandes et petites tribus.

Plus ça va, plus je commence à comprendre les coups de gueule de Victor Lévy Beaulieu. Bien sûr, son geste de brûler symboliquement sa Grande tribu relève un peu de l’esbroufe qui fait les bons lancements mais le geste n’en a pas moins une portée plus que symbolique, celle du désarroi de son auteur :

Près de cinquante ans après m’être mis par l’écriture à rêver et à agir, je constate que nous n’avons jamais été aussi loin de l’indépendance que nous le sommes actuellement : nos élites n’ont jamais été aussi veules, même dans les chartes qu’elles nous ont imposées et qui consacrent le seul droit que nous avons encore, celui d’être aliénés ou aliénables.

Fini l’unilinguisme de la Loi 101. Bienvenue au bilinguisme pour tous et, pourquoi pas, au multilinguisme. On ne sait pas apprendre à nos enfants ni à lire ni à écrire le français, mais c’est parce qu’on a besoin d’être immergés, non pas dans la langue de Molière, de Tremblay ou de Lepage, mais dans la mer anglophone.

Pour ces étranges mondialistes-là, on ne devrait même plus avoir de relations privilégiées avec la France. Voyez-vous, elle n’a plus rien d’un empire, tandis que les États-Unis en sont un. Bien sûr, on est contre les guerres que provoque l’empire le plus militaire qu’on ait eu à subir sur la planète, mais qu’importe ! C’est avec l’empire qu’on fait de l’argent.

Demain, on apprendra le mandarin et le cantonais pour les mêmes raisons, non pas pour mieux communiquer culturellement avec le monde comme le prétendent les mondialistes, mais pour mieux y faire de l’argent sale, comme c’est le cas avec le Canada qui, depuis le début de la guerre en Irak et en Afghanistan, est devenu avec les États-Unis, la Chine, la Grande-Bretagne, la Russie et la France, l’un des grands marchands d’armes sur la planète.

On voit le désastre que cela donne en Afrique et dans tous ces pays dits hypocritement en voie de développement : des massacres, des génocides, la mort de millions de personnes, le déplacement de millions d’autres, une pauvreté endémique et les sales maladies qui vont avec.

Il est difficile dans des médias qui, pour la plupart, appartiennent à des intérêts étrangers, de s’y faire entendre vraiment. Même quand Le Devoir promeut le bilinguisme pour tous, on ne peut que désespérer de notre avenir collectif.

Si nous-mêmes comme peuple nous tombons à pieds joints dans l’anglomanie, comment voulez-vous que le français puisse avoir une force d’attraction suffisante pour que les immigrants s’y adonnent véritablement ?

Tout cela pour vous dire que mon désarroi est grand aujourd’hui. Ce Québec français, pacifiste, soucieux des minorités souffrantes d’ailleurs, on est en train de nous l’enlever. Moi, je me sens orphelin ces jours-ci. Doublement orphelin. Orphelin sur ma terre natale, Trois-Pistoles, qui a refusé que je lui redonne ce qu’elle m’avait prêté à ma naissance : ce sens de la culture et son inscription dans la modernité.

Orphelin aussi parce qu’à Montréal on dit de moi que je représente le Québec ancien dont on ne veut plus, que je suis une manière d’ayatollah, sinon de taliban arriéré dont on souhaite la mort, comme l’ont écrit deux lecteurs du journal Le Devoir qui a publié la chose sans sourciller. Imaginez si on avait écrit cela d’un membre de la communauté juive ou d’un musulman ! Le Devoir aurait-il été aussi néolibéral ?

Ce n'est plus la faute à Papineau de VLB, repris par Vigile

Je ne suis pas aussi nationaliste que VLB. Je parle et lis l’anglais. Je n’ai rien contre l’amélioration de son enseignement au Québec. Mais je ne suis pas non plus dupe. Au Saguenay, on est quand même plus bilingue que dans n’importe quelle région comparable du Canada anglais. Pire encore, l’utopie du Canada bilingue à la Trudeau s’effrite. Par exemple, Statistique Canada constate un recul de la connaissance du français chez les jeunes anglophones hors Québec :

Figure 3 Taux de bilinguisme français–anglais chez les anglophones par groupes d’âge, Canada moins le Québec, 1996 à 2006

Description
Figure 3 Taux de bilinguisme français–anglais chez les  anglophones par groupes d’âge, Canada moins le Québec, 1996 à 2006

Et pourtant, je suis assez québécois bonasse pour trouver important de parler l’anglais alors que le reste du Canada se fout complètement du français. Je ne lui donne pas tort, l’espagnol ou le mandarin sont plus importants dans le monde. Mais qu’on ne me dise plus que ce pays est bilingue. Il ne l’a jamais été et ne le sera jamais. Pas plus que la reconnaissance du Québec comme nation par le parlement fédéral n’a de portée juridique. Au fédéral, quand il s’agit de faire des lois sur le cas québécois on vise plutôt la clarté et messieurs Dion et Harper deviennent grands amis.

***

On voudrait bien nous faire croire que l’indépendance du Québec est une question dépassée, qui n’est qu’un phantasme de vieux boomers qui, comme les soixante-huitards français, ont gardé la nostalgie des grands soirs. Ce n’est pas faux. Mais c’est avoir la mémoire un peu courte. L’idée de maintenir une culture francophone en Amérique traverse aussi tout le XIXe siècle et la première partie du XXe, parfois en repli mais aussi en combat de tous les instants. A cet égard, il est aussi constant que la mauvaise foi des anglophones, britanniques ou canadiens.

Et voilà que notre appartenance au Canada nous amène à faire la guerre en Afghanistan. À piétiner Kyoto pour permettre aux albertains de polluer toujours plus, tout en étant largement indemnisés par le fédéral même s’ils sont riches à craquer. À aider la pauvre industrie de l’automobile du Sud ontarien sans rien de semblable pour les régions forestières qui regardent leurs usines fermer une à une. À concentrer toujours plus de richesses dans les mains des financiers de Bay Street.

Et évidemment à devenir toujours plus bilingues, mais ça on le savait déjà:


C’est que, voyez-vous, il y a de ces petites tribus qui se prennent pour le territoire.

Et une grande qui le cherche encore.